« Sur la légitimité historique de H. Boumediene puis sur sa légitimité démocratique, au moment du sursaut révolutionnaire du 19 juin 1965…la légitimité révolutionnaire de H. Boumediene n’avait rien à envier à celle de beaucoup d’autres », justifie Ali Mebroukine la confiscation du pouvoir après 1962.

Dans tous les pays qui se respectent, le pouvoir s’appuie essentiellement sur la volonté populaire. En Algérie, certains intellectuels –qui sont au service d’un homme puissant –justifient malheureusement l’emploi de la force pour la prise du pouvoir. Pour que le lecteur le sache tout de suite, cet admirateur de Houari Boumediene est tout bonnement à l’image de son adulateur. Cela dit, bien que chacun soit libre de soutenir le projet politique –même si il est dictatorial –qu’il veut, il n’a pas le droit de travestir la réalité pour discréditer des hommes honnêtes. Dans une contribution à El Watan du 6 juin 2012, Ali Mebroukine, en recourant au mensonge et à la mauvaise foi, dresse un tableau noir sur Ait Ahmed. Bien qu’il soit difficile, même pour les gens qui soutiennent Ait Ahmed, de décrire la grandeur de l’homme, il me semble qu’une réponse même incomplète à la contribution d’Ali Mebroukine est nécessaire.

Cependant, dès son introduction, le professeur d’université souligne, en termes voilés, la responsabilité d’Ait Ahmed dans l’échec de l’opposition en Algérie. Pour un observateur de la scène politique, si un tel reproche venait d’un opposant, tout le monde comprendrait son angoisse, sa colère et ses inquiétudes. Mais celui qui écrit cela a toujours été d’un soutien indéfectible au régime. D’ailleurs, dans une autre contribution à El Watan, Ali Mebroukine écrit : « L’auteur de ses lignes appartient à une génération que H. Boumediene a rendu fière d’être algérienne ». À moins qu’on soit aveugle, sur le plan de la promotion démocratique, l’adulateur d’Ali Mebroukine fut très loin du compte.

D’une façon générale, le FFS de Hocine Ait Ahmed, nous dit Ali Mebroukine, après avoir été dans l’opposition, a changé de cap. Il a même le culot d’affirmer que « le fondateur du FFS, sans consulter les militants, se répand clandestinement en conciliabules opaques avec le premier magistrat du pays, dans la pure tradition de l’omerta politique contre laquelle il aura construit toute son aura aussi bien en Algérie qu’à l’étranger depuis 50 ans ». Voilà comment des hommes sans scrupules salissent l’image d’un homme probe qui a consacré 70 ans de sa vie à la défense de l’Algérie. En tout cas, s’il avait eu la moindre preuve d’une telle compromission, il n’aurait pas hésité, vu la nature de l’homme, à la dévoiler. Au lieu de critiquer la démarche politique d’Ait Ahmed [ce qui peut être compris par tout le monde. Et après tout, personne n’est infaillible], Ali Mebroukine diabolise l’homme.

En effet, sans donner la moindre peine à comprendre le raisonnement d’Ait Ahmed, Ali Mebroukine se lance dans la désinformation. Bien que la démarche du FFS soit incomprise par ses détracteurs, le parti d’Ait Ahmed, qu’il le veuille ou non, a toujours assumé ses responsabilités envers le pays.  Néanmoins, malgré sa participation tactique aux élections du 10 mai, le président du FFS n’a pas omis de signaler sa divergence avec la méthode du pouvoir. « Notre cheminement va continuer à diverger avec celui du pouvoir dans ses deux déclinaisons : celle qui s’exprime à l’intérieur du cadre institutionnel et celle qui attaque ce cadre sitôt qu’elle en est exclue », écrit-il dans son message du 2 mars 2012. Du coup, un mois après les élections, personne ne peut nous dire comment il s’est produit le rapprochement avec le pouvoir.

De toute évidence, la participation du FFS a répondu aux autres impératifs qu’Ali Mebroukine justifie autrement pour ne pas les comprendre. En effet, à la faveur des changements intervenus chez nos voisins, le FFS a insisté sur le caractère pacifique du changement en Algérie. Bien que personne ne détienne la vérité sur ce sujet, les autres avis, écrit Ait Ahmed dans son message du 2 mars, sont également respectables. Solution qu’aucun acteur politique n’a assumé publiquement. En tout cas, cette voie n’a pas eu les faveurs du FFS depuis le début des révoltes nord-africaines. Dans un message du 22 mars 2011, Ait Ahmed a préconisé une voie de changement la moins douloureuse pour l’Algérie. « Si les mobilisations populaires  tunisiennes et égyptiennes nous rappellent dans leurs prémices « le printemps démocratique » (89-91), le scandaleux bain de sang déclenché par El Gueddafi rappelle quant à lui la furie éradicatrice des années 90 qui a déchainé –à l’intérieur et à l’extérieur des institutions –des Algériens contre d’autres Algériens durant toute une décennie. C’est pour que l’Algérie n’ait plus jamais à payer un tel prix pour la maitrise de son destin, qu’il incombe aux Algériens, dans la diversité de leurs convictions et de leurs appartenances, d’indiquer clairement la voie de la construction politique en alternative à la voie de la confusion et de la violence », a-t-il prôné la voie à suivre.

Cependant, sur la question de l’islam politique, Ali Mebroukine s’inscrit dans la démarche purement éradicatrice. Sur ce sujet, il n’y a jamais eu une occasion sans qu’un valet du système descende Ait Ahmed en flamme. A ce propos, Ali Mebroukine joue parfaitement son rôle, mais il ne peut pas se targuer de parler en tant que scientifique. « Seuls les islamistes radicaux lui avaient paru dignes d’exercer le pouvoir », écrit-il la semaine dernière à El Watan. Bien entendu, il arrive à une conclusion que tous les éradicateurs de ce pays reprochent, à tort, à Ait Ahmed. Tout compte fait, quand la critique vient de gens de cette catégorie, qui, lorsque les Algériens ont décidé de sanctionner leur gestion catastrophique, ont perpétré un coup d’État afin de sauver leurs intérêts, la diatribe ne blesse pas.

Tout compte fait, un rappel laconique de cette période noire de l’Algérie s’impose pour que les choses soient mises au clair. En effet, bien que le FFS ait son programme républicain à défendre, son slogan phare dans les années 90, ce qu’Ali Mebroukine feint d’ignorer, fut « non à l’État policier, non à l’État intégriste ». À moins qu’une mission obscure d’Ali Mebroukine l’ait éloigné des préoccupations de l’Algérie à ce moment-là, Ait Ahmed, quant à lui, a combattu le projet des islamistes radicaux comme il s’est démarqué de la mainmise de l’armée sur le pouvoir. En revanche, contrairement à ce qu’écrit Ali Mebroukine, Ait Ahmed s’est rapproché des réformateurs du FLN, à leur tête Mouloud Hamrouche et Abdelhamid Mehri. Par conséquent, quand le professeur affirme qu’« aucune réforme, aucune avancée, aucune réalisation faite depuis l’indépendance, n’avait jamais trouvé grâce à ses yeux », est un pur mensonge ou bien il n’a pas suivi les développements politiques entre 1989 et 1991.

En revanche, la question qui taraude beaucoup d’esprits, à laquelle Ali Mebroukine ne peut pas répondre, est la suivante : qui a empêché l’alliance FFS-FLN réformateur de gouverner en juin 1991 ? Sur cette question, Ali Mebroukine ne souffle pas un mot. Et pourtant, la loi électorale du 1er avril 1991 aurait pu donner une majorité à cette alliance. Hélas, un harki du système est venu au secours des tenants du pouvoir réel afin de façonner une loi électorale à la convenance des islamistes du FIS. Seulement, si les tombeurs de Hamrouche étaient démocrates, ils devraient, dans ce cas de figure, accepter la sanction des Algériens. Quoi qu’il en soit, bien que le FIS ait réussi un résultat confortable au premier tour des élections législatives du 26 décembre 1991, Ait Ahmed a déployé tous ses efforts, comme l’a prouvé la marche du 2 janvier 1992, pour que les Algériens ne votent pas pour le FIS au second tour, prévu le 16 janvier 1992. Dans cette crise, Ali Mebroukine et ses amis ont estimé que pour sauver la démocratie, il fallait arrêter les élections et de les organiser désormais à la naegelenne.

Sur un autre sujet, Ali Mebroukine, dans sa contribution, estime que les meilleurs militants du FFS sont ceux qui ont quitté le FFS. Quelle grandeur d’esprit d’un professeur universitaire ? En tout état de cause, le FFS est habitué à ce genre de démarche machiavélique. Quant à la CNCD, Ali Mebroukine estime que le FFS était le seul responsable de son échec. Quel raccourci ? Il faut rappeler tout de même que cette organisation a existé avant la chute de Moubarak en Égypte. Comment se fait-il que les manifestants de la place Al Tahrir aient réussi à faire tomber le tyran, alors que ceux de la place du 1er mai n’ont pas accompli le même objectif ? Voici, monsieur le professeur d’université, la question à laquelle il va falloir répondre. En tout cas, il va de soi que les Algériens ne se sont pas rendus en masse à la place du 1er mai. Dans ce cas, deux conclusions peuvent être tirées. Soit les initiateurs de la CNCD n’étaient pas crédibles aux yeux des Algériens, soit le changement attendu par les Algériens ne devait pas s’accompagner d’une effusion de sang.

Quoi qu’il en soit, Ali Mebroukine n’est pas à une élucubration prés. En effet, il se pose la question de savoir comment un homme comme Ouyahia se dit incapable de redresser le pays, alors que le FFS, avec 27 députés sur 462, va mettre l’Algérie sur les rails. Là aussi, le professeur ne connait rien à la démarche du FFS. « Quelle contribution le FFS allait apporter pour faciliter cette mutation qualitative, à laquelle de moins en moins d’Algériens sont disposés à ajouter foi », s’interroge Ali Mebroukine. Pour le FFS, sans la mobilisation des Algériens, il ne pourrait y avoir de changement. En revanche, le FFS ne croit pas que le miracle vienne du pouvoir. Dans son message à la convention nationale, Ait Ahmed n’écrit-il pas : « Il est bien peu probable que les prochaines élections soient des élections ouvertes. En fait, et sans précautions inutiles, les prochaines élections n’ont aucune chance d’être des élections ouvertes. Nous ne pourrons donc pas assurer que nous allons sanctuariser le pays, veiller à la sécurité nationale et initier le changement démocratique en y participant ». En effet, le FFS n’a pas les moyens, étant depuis sa création dans l’opposition, de changer, à lui tout seul, la donne. Dans l’état actuel des choses, sa solution réside dans la mobilisation citoyenne.

Toutefois, au lieu d’incriminer ceux qui ont cloué l’Algérie au sol, Ali Mebroukine tente de nous démontrer que le FFS ne pourra rien faire avec 27 sièges au parlement. Mais les grands responsables que défend le professeur ont-ils fait prospérer l’Algérie ? Dans un texte de Smail Goumeziane, cet ancien ministre du gouvernement Hamrouche explique comment les dérives des amis d’Ali Mebroukine ont condamné l’Algérie à occuper la queue de peloton dans tous les classements mondiaux. En effet, de coup de force en coup de force, l’Algérie a été mise à genoux. « Cinquante ans après la proclamation de l’indépendance nationale, nous voici face aux mêmes absences : Absence d’un État de droit, absence de vie politique, absence de constitution digne de ce nom, absence d’institutions légitimes capables de protéger le peuple autant que le pays des abus et d’assurer son droit à vivre dans la liberté et la dignité », décrit Ait Ahmed le bilan du demi-siècle d’indépendance.

En somme, que le professeur le veuille ou non, Ait Ahmed a une stature de Ben Mhidi, Abane, Ben Boulaid, etc. Car le point commun de ces valeureux nationalistes fut l’acquisition de l’indépendance pour que le peuple algérien soit maitre de ses choix. Néanmoins, bien que les trois autres n’aient pas eu la chance de survivre à la guerre de libération, Ait Ahmed fut l’un des opposants au coup de force de l’été 1962, réalisé, pour rappel, par le duo Ben Bella-Boumediene. Et si Abane, Ben Mhidi et Ben Boulaid avaient été de ce monde à ce moment-là, ils auraient condamné de la même façon la confiscation du pouvoir par l’armée des frontières au détriment du peuple algérien. Hélas, le professeur ne croit pas au droit du peuple à doter lui-même le pays des institutions démocratiques. Pour lui, les institutions ne peuvent être que le fait du prince. « C’est assez souligner l’ampleur du défi que devait relever Houari Boumediene. Il fallait forger ex nihilo des institutions étatiques viables reposant sur un socle de mythes fondateurs qui ne pouvaient être que la religion musulmane, la langue arabe et la perpétuation du souvenir de la résistance populaire à l’oppression coloniale. Il fallait à la fois créer l’État et une nation moderne », écrit-il en décembre 2008 à El Watan. Comment organiser ce pouvoir ? Le professeur ne prononce nullement le mot « peuple », si ce n’est que ce dernier doit obéissance sans vergogne au maitre. Voilà, in fine, l’homme qui s’attaque au fondateur de la révolution algérienne.   

Boubekeur Ait Benali
11 juin 2012

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