Grave pic de pollution à El Mouradia depuis quelques jours, car Boutef y avait réuni les principaux responsables de la tragédie nationale pour faire le point sur les prochaines « élections ». Ne manquaient au conclave maffieux que les généraux Belkheir, Smaïl et Lamari. Officiellement pour « raisons de santé »…

Boutef ouvrit les débats par cette réflexion : « La moyenne d’âge ici étant de 78 ans, je veux que vous me parliez du passé, et surtout pas du futur. Alors que s’est-il passé le 10 mai prochain, et comment les Algériens ont-ils voté ? Je veux des certitudes, des certitudes, des certitudes, et je déteste me répéter.»

Toufik lui fit un signe ostentatoire pour lui signifier d’arrêter le monologue, puis affirma qu’il allait voter « massivement » le 10 mai, comme 84% des Algériens. Boutef lui demanda aussitôt par quel miracle connaissait-il déjà le taux de participation. Toufik regarda dans son cahier, puis rétorqua que c’est bien ce qui est indiqué dans ses notes qui datent de « l’élection présidentielle » de 2004, réponse qui satisfit pleinement Bouteflika.

Le général Gaïd Salah s’essuya la bouche puis y mit un peu de fly-tox pour diluer l’odeur du méchoui à l’oignon qu’il dévora au petit déjeuner. Il assura Boutef que les militaires voteront « massivement », d’abord dans leurs casernes, puis ils mettront leurs habits civils pour aller voter dans leurs villes et villages, et enfin les plus gradés d’entre eux feront même le voyage à l’étranger pour aller bourrer les urnes dans divers consulats.

Gaïd Salah s’assoupit alors et renfla si fort qu’il réveilla brusquement Ould Kablia. Ce dernier promit en catastrophe que la police allait accomplir « massivement » son devoir sacré le10 mai. En effet, balbutia-t-il, les policiers iront d’abord matraquer les citoyens qui n’auraient pas l’air de vouloir voter ce jour-là. Les femmes et les jeunes filles seront particulièrement ciblées. Une fois cet exercice d’échauffement terminé, les officiers iront voter dans leurs commissariats, puis descendront dans les sous-sols pour ramasser les procurations de vote des jeunes en garde-à-vue, puis fileront voter dans leurs quartiers.

Ouyahia eut le mot de la fin : il jura à Boutef que l’administration allait compter « massivement » les votes de tous les citoyens, qu’ils soient arabes, kabyles, chaouis, mzabis, touareg, qu’ils soient musulmans ou hindous, hommes ou femmes, adultes ou enfants, qu’ils soient vivants ou déjà morts, et qu’ils… aient voté ou pas…

Devant cette perspective radieuse, Boutef esquissa un sourire de deux millimètres, puis leva la séance et suivit des yeux ses hôtes qui regagnaient leurs voitures. Quand ils furent à distance respectable, Boutef se laissa enfoncer dans son fauteuil et poussa un grand « tfou » de soulagement…

Mounir Sahraoui
28 mars 2012

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