Le journal le Monde, dans un numéro « Hors série » de février-mars 2012, consacre une série d’articles et d’interviews à la guerre d’Algérie. Ils sont autant riches que variés. Ainsi, à l’approche du cinquantième anniversaire des accords du cessez-le-feu, le journal réunit une pléiade d’historiens pour éclairer leurs lecteurs sur cette période douloureuse. Parmi ces spécialistes, il y a le grand historien américain, Matthew Connelly. Ce dernier est surtout connu pour son ouvrage remarquable, sorti en 2008, intitulé « L’Arme secrète du FLN. Comment de Gaulle a perdu la guerre d’Algérie ».

D’emblée, l’historien insiste sur le rôle prépondérant de la diplomatie algérienne pendant la guerre. Pour lui, bien que l’armée française, véritable rouleau compresseur, ait donné des coups terribles aux Algériens, notamment lors de la bataille d’Alger, les représentants du FLN à l’étranger ont su profiter de cet événement horrible pour le transformer en victoire sur le plan international. Ainsi, les États membres de l’ONU sont simplement interloqués à la découverte des exactions commises par l’armée française.

Dans cette interview, l’historien rappelle comment les Algériens ont adopté une stratégie visant à discréditer le système colonial. En effet, les stratèges du mouvement national ont profité du contexte de guerre larvée entre les USA et l’URSS pour tirer le maximum de soutien à leur cause. Incontestablement, chaque soutien à leur cause affaiblit par ricochet la position de la France. À la question de savoir comment les Algériens ont tiré cet avantage, l’historien répond tout bonnement qu’ « avant même le déclenchement de la guerre avec la France en 1954, les nationalistes algériens avaient une vision internationale du conflit qu’ils voulaient mener. L’homme qui développe cette stratégie s’appelle Hocine Ait Ahmed. Il écrit en 1948 un document d’une importance fondamentale où il décrit une stratégie pour la guerre en citant les grands stratèges du passé comme Carl Von Clausewitz ou Ernest Junger. Il explique que mener le combat contre la France sur les champs de bataille n’aboutira jamais à cause de la trop grande différence entre les forces militaires ».

Cette thèse est largement partagée par plusieurs historiens. En effet, après les événements de mai 1945, Ait Ahmed travaille, avec abnégation, en vue de réfléchir à une stratégie adéquate servant, le moment venu, à mettre à mort le système colonial abhorré. Ce travail, il l’expose en février 1947 lors du congrès du PPA-MTLD. Bien que la situation soit déjà révolutionnaire, écrit Mohamed Harbi, en citant Ait Ahmed, « En 1945, la Direction voulait l’insurrection armée, mais elle n’avait aucune idée de ce qu’il fallait faire. Les uns pensaient à un soulèvement dans le style de celui de 1871 ; d’autres pensaient au terrorisme. Ce sont là des idées périmées. Le parti avait besoin d’un bras militaire, car c’était un leurre de croire que nous obtiendrons notre indépendance par étapes ». Quoi qu’il en soit, malgré les difficultés, le terrain est désormais balisé. En effet, bien que le passage à la lutte armée soit retardé à cause des luttes intestines opposant le président du parti, Messali, aux membres du comité central, la voie proposée par Ait Ahmed commence à faire son chemin.

Après le démantèlement de l’organisation spéciale (OS), l’action révolutionnaire est mise, un moment, en sourdine. Etant condamné par contumace par la justice coloniale, Ait Ahmed choisit de quitter l’Algérie pour rejoindre Le Caire. Il est désormais membre de la délégation extérieure du PPA-MTLD. À ce titre, il participe à la conférence de Rangoun, en Birmanie, en 1953. Les participants adoptent, à la fin des travaux de la conférence, la résolution consistant à lutter contre le colonialisme. En avril 1955, il participe, en tant représentant du jeune parti révolutionnaire, le FLN, à la conférence de Bandoeng, en Indonésie. Dans la foulée, il ouvre un bureau du FLN à New York.

D’une façon générale, l’action d’Ait Ahmed commence à porter ses fruits. Ainsi, au moment où d’autres complotent pour s’emparer du pouvoir le jour de la victoire, Ait Ahmed peaufine son plan visant à doter la révolution d’une grande diplomatie. Selon Matthew Connelly, « Il [Ait Ahmed] avait compris que les nationalistes nord-africains, pas seulement les Algériens, mais aussi les Marocains et les Tunisiens, pouvaient utiliser l’allié américain de la France en agitant la menace de voir l’Afrique du Nord tomber dans les bras du communisme. Il défendait que la cause algérienne était un symbole de la lutte des nationalistes contre le colonialisme face à une France qui, en essayant de garder son empire, s’opposait à la grande vague de l’histoire ».

Malheureusement, le 22 octobre 1956, Ait Ahmed, en compagnie d’autres membres de la délégation extérieure du FLN, est arrêté par l’armée française en détournant l’avion les transportant du Maroc vers la Tunisie. Son successeur, Mhamled Yazid, va poursuivre –et c’est le moins que l’on puisse dire – son œuvre. À l’ONU, la diplomatie algérienne va mettre, à plusieurs reprises, la France dans l’embarras. Plusieurs fois, le vote de l’assemblée générale de l’ONU a failli réunir le quorum nécessaire condamnant la politique française en Algérie.

Pour conclure, il va de soi que l’action armée a pesé considérablement dans le conflit. En réalité, sans cette action, la diplomatie n’aurait pas joué le même rôle. Mais une fois l’action déclenchée, les représentants de la rébellion à l’étranger ont accompli sans ambages leur mission. Embryonnaire à l’origine, la diplomatie a connu un épanouissement sous Ait Ahmed. Après son arrestation, ses successeurs ont continué sur la même lancée. Au fil des années, cette diplomatie est devenue incontournable dans la résolution du conflit. En sachant que la victoire militaire du FLN sur l’armée française était irréalisable –à moins qu’on mente à nous-mêmes –, la diplomatie algérienne a contribué grandement à la fin du joug colonial.

Boubekeur Ait Benali
3 mars 2012

Un commentaire

  1. Abdelkader DEHBI on

    RE: Comment Ait Ahmed a donné un sens à l’action révolutionnaire
    Il faut être un ignorant de l’Histoire du mouvement nationaliste algérien et de la Guerre de Libération qui l’a couronné, jusqu’ l’Indépendance, pour ne pas reconnaître les mérites de notre frère Hocine Aït Ahmed, en particulier dans l’action diplomatique.

    Malheureusement, on ne peut que déplorer la position officielle du FFS – position qui ne pouvait être en aucune façon être prise sans l’aval du vieux leader – à moins qu’on ne lui aie forcé la main – de participer à la mascarade électorale du 10 Mai prochain, concoctée par le régime.
    Sans prétendre connaitre toutes les intentions qui se cachent derrière le choix inattendu du FFS et de son leader, je crains qu’il ne s’agisse hélas d’un véritable coup de poker, perdant à tous les coups ; en effet :

    – Ou bien le FFS sera crédité, en guise de cadeau de « bienvenue » d’un confortable quota pouvant aller jusqu’à 25% des sièges – à titre de « dédommagement » à l’identique, de son score de Décembre 1991 – et il siègera cote à cote avec cette constellation de nouveaux partis godillots, dans une joyeuse continuité d’un régime illégitime, criminel et corrompu, qu’il a toujours contesté, en se discréditant aux yeux de l’opinion publique ;
    – Ou bien les apprentis sorciers du pouvoir, qui s’y entendent en fait de manipulation des urnes, lui auraient tendu un beau piège et profiteront de cette participation du FFS pour le faire laminer et le présenter comme un parti fantôme qui ne représente que lui-même.

    En prime, et dans l’un comme dans l’autre de ces deux cas de figure, on imagine à peine l’embarras, voire la déconfiture politique et morale de ce grand parti de l’opposition réelle, dans l’hypothèse d’une chute – de moins en moins « hypothétique » – du régime en place.

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