« Etablissons donc notre spécificité sur ce qui nous est propre, qui nous revient, et ne nous est pas étranger » (Mohammed Abed al-Jabri)

Depuis le début des années 1980, un grand nombre d’associations et d’organisations de l’immigration, de banlieues et/ou musulmanes ont cherché à mobiliser la communauté arabo-musulmane vivant dans l’hexagone sur des questions sociales, de lutte contre le racisme, de solidarité internationale et/ou se rapportant à la pratique de l’Islam. Ces différents mouvements et organisations ont plus ou moins éludé ou amputé toute référence positive à la civilisation arabo-islamique tant sur un plan politique que sur un plan culturel. Pourtant, cette référence fut une des composantes essentielles des luttes des mouvements qui les ont précédés dans les combats de l’immigration.

Quel a été l’apport des éléments identitaires arabo-islamiques dans l’histoire des luttes de l’immigration arabo-musulmane qui se sont développées depuis les années 1920 ? Et comment expliquer le fait que ces références identitaires aient été occultées ou amputées au cours des trente dernières années par la génération des héritiers de l’immigration postcoloniale ?

Les ruptures générationnelles rendant difficile la transmission d’une histoire militante, les différences sociologiques entre les premières générations de militants immigrés nés et socialisés dans le monde arabe et les héritiers de l’immigration postcoloniale nés et socialisés en France ou encore l’évolution du contexte international expliquent certaines évolutions des références politiques et culturelles des militants. Les pressions du système national-républicain assimilationniste français, qui a toujours cherché à dissoudre tout élément identitaire de la communauté arabo-musulmane, sont d’autres éléments d’explication de cette occultation ou de cette amputation de la référence arabo-islamique.

Au-delà de ces pistes d’analyse, les réponses apportées à ces questions sont fondamentales car celles-ci déterminent, en grande partie, la situation actuelle des luttes politiques de la communauté arabo-musulmane vivant en France.

La référence arabo-islamique dans l’histoire des luttes de l’immigration

Le premier mouvement politique regroupant des militants arabo-musulmans en France, l’Etoile Nord Africaine (ENA), créée au milieu des années 1920 à Paris, avait fait de l’identité arabo-islamique un des fondements idéologiques de son nationalisme révolutionnaire maghrébin. Définissant les soubassements de l’idéologie de l’Etoile Nord Africaine, l’historien algérien Mahfoud Kaddache affirmait qu’elle avait été formée, au sein de l’immigration, dans la rencontre féconde entre les combats de la classe ouvrière et l’attachement à l’identité arabo-islamique des immigrés : « Les travailleurs immigrés formés au dur combat de la réalité ouvrière, restaient sensibles au message qui venait de ce qui représentait leur passé et leur rattachement à la civilisation arabo-islamique. Ce qui évoquait Damas, Baghdad et Le Caire restait pour eux sacré » (1).

Cette mise en avant de l’identité arabo-islamique par les nationalistes révolutionnaires maghrébins s’amplifia à mesure que l’Etoile Nord Africaine affirma sa pleine indépendance vis-à-vis du Parti communiste français (PCF) à partir de la fin des années 1920. Dans cette prise de distance avec le PCF qui déboucha sur une rupture totale et un conflit ouvert dans les années 1930, le refus du « mépris » affiché par les communistes français vis-à-vis du Maghreb, de la nation arabe, de sa culture, de son identité, de son histoire et de l’islam joua un rôle déterminant (2). Face à ce « mépris » affiché par les communistes et partagé par la grande majorité de la gauche française, les militants de l’Etoile Nord Africaine mirent en avant leurs spécificités culturelles arabo-islamiques qui étaient le socle de leur autonomie idéologique, stratégique et politique.

Dans le même temps, les cadres de l’Etoile Nord Africaine tissèrent des relations avec des militants provenant du reste du monde arabo-islamique. Rentrant en contact dès 1932 avec l’Emir Chekib Arslan qui était réfugié à Genève, Messali Hadj fut largement influencé par les idées de renouveau arabo-islamique développées par le directeur de la revue La Nation Arabe. A cette époque, Chekib Arslan était l’une des figures les plus illustres du mouvement de renouveau national-culturel du monde arabo-islamique. Il défendait l’idée d’une nécessaire union du monde arabo-islamique contre l’Occident impérialiste. La nation arabe devait constituée le cœur de cette unité arabo-islamique. En 1932, dans le périodique Al-Arabi, patronné par Chekib Arslan et Abd er-Rahman Azzam, les lecteurs pouvaient approfondir leur sentiment nationaliste en lisant la définition claire de la nation arabe : « Les Arabes occupent en propre la moitié du cercle méditerranéen. Ils jettent leurs regards dans l’Océan Atlantique d’un côté et dans l’Océan Indien de l’autre. L’unité arabe est donc une réalité actuelle et une réalité historique » (3).

La conception d’un nationalisme arabo-islamique, largement influencée par les idées de « fraternité islamique » développées au XIXème siècle par Jamal ed-Din al-Afghani, était résumée dans une formule limpide par Chekib Arslan lui-même lorsqu’il affirmait : « Je suis musulman avant d’être arabe parce que l’islam est la religion de l’humanisme. L’humanisme prime sur le particularisme. Si le nationalisme est une échelle vers cette religion, je suis le premier à sacrifier ma plume, ma langue, mes biens et mon sang pour mon arabisme qui n’a jamais cessé de combattre l’injustice et la tyrannie ; combat qui est l’une des caractéristiques de l’Islam » (4).

Expliquant l’influence de Chekib Arslan et de sa revue La Nation Arabe sur les mouvements nationalistes maghrébins en général et sur l’Etoile Nord Africaine en particulier, Mahfoud Kaddache écrivait : « L’apport incontestable de La Nation Arabe à la cause du nationalisme arabe a été la précision du concept nationaliste, et sa différenciation d’avec le nationalisme occidental, et cela au moment où le fascisme italien affirmait sa puissance et où l’hitlérisme naissait. Pour les nations musulmanes sous le joug colonial, l’islam était le seul idéal pour lequel il était permis de combattre ; il était le seul principe qui pouvait discipliner les masses dans une seule doctrine fondée sur la fraternité et la justice. Pour les Musulmans, un patriotisme religieux avait remplacé le sentiment national, les Musulmans se considérant comme appartenant à une seule Nation » (5).

L’influence de l’intellectuel syro-libanais sur Messali Hadj et sur l’ensemble des cadres de l’Etoile Nord Africaine se fit particulièrement sentir dans les orientations politiques et culturelles de l’organisation nationaliste révolutionnaire maghrébine. Parlant devant l’Assemblée générale des militants de l’Etoile Nord Africaine en mai 1933, Messali Hadj affirmait son nationalisme maghrébin d’inspiration arabo-islamique : « La France a laissé les Algériens dans l’ignorance de leur propre religion. Elle a infesté l’Afrique du nord de milliers de missionnaires qui ont essayé de christianiser son peuple. Heureusement, le peuple arabe, inspiré par une foi ardente, possède une force morale indestructible ; il ne pliera jamais devant la force matérielle » (6).

Plus de vingt-cinq ans après cette déclaration, le 8 mars 1959, dans un discours retraçant son action militante, Messali Hadj réaffirmait cette même orientation arabo-islamique : « Il y a plus de 30 ans, je disais à mes compatriotes : vous êtes capables d’obéir dans le domaine religieux à de nombreux préceptes, alors faites-en autant dans le domaine national. Prouvez-le, montrez-le lorsque le Mouvement national vous appelle à vous discipliner, à vous organiser, à vous libérer. Cela aussi c’est la religion. Ainsi, donc il est bien que les Algériens, les Tunisiens ou les Marocains étudient l’histoire de leur pays ou apprennent leur religion. Ils trouveront toujours quantité d’enseignement ayant trait à la foi, à la religion, la nation, la liberté, la science. Quant à nous, Algériens, il nous suffit de revenir aux sources vives de la Nation algérienne qui a déjà existé. Celle-ci est un fait. Elle a été et demeure une réalité. Nous voulons simplement le retour à cette Nation algérienne » (7).

Cette référence arabo-islamique n’était pas propre à Messali Hadj. Elle était largement partagée par l’ensemble des cadres et des militants de l’Etoile Nord Africaine y compris ceux qui étaient d’origine berbère. Faisant partie des premiers militants nationalistes algériens dans l’hexagone, Ameur Khider, qui fut actif au sein de l’ENA à Paris et fondateur du Parti du Peuple Algérien (PPA) en mars 1937, écrivait : « L’ENA comme le PPA ont levé bien haut l’étendard de la nation algérienne, celui de l’arabisme et de l’islamisme ». En conclusion de ses mémoires, il ajoutait : « Peuple algérien n’oublie jamais que l’Islam était en tête de nos valeurs durant les années de la lutte politique et durant les années de la lutte armée » (8).

Après les années 1930, l’influence des idées arabo-islamiques restèrent au cœur de l’action des différentes organisations nationalistes algériennes qui œuvrèrent au sein de l’immigration maghrébine en France. Les espoirs des Maghrébins se portaient de plus en plus vers la Ligue Arabe qui, pensaient-ils, devait appuyer leurs revendications sur le plan international et faire pression sur les puissances tutélaires qu’étaient la France et l’Espagne. Selon Charles-André Julien, « depuis que le protocole d’Alexandrie, signé par l’Egypte, l’Irak, le Liban, la Syrie et la Transjordanie, avait dressé le projet de ligue des Etats  arabes, l’Islam maghrébin suivait avec passion les efforts pour donner au panarabisme une base concrète ». L’idée panarabe ou d’union arabe avait connu une nouvelle impulsion, en mars 1945, avec le congrès d’Héliopolis en Egypte qui avait fixé le statut de l’Union pour la collaboration des membres de la Ligue Arabe en vue « de sauvegarder leur indépendance et leur souveraineté » (9).

En raison de cela, les nationalistes maghrébins avaient les yeux tournés vers le Machrek arabe dont ils soutenaient les luttes de libération nationale et dont ils espéraient le soutien dans leur combat pour libérer leur propre pays. L’organe du MTLD, L’Algérie Libre, s’enthousiasmait pour la Révolution égyptienne du 23 juillet 1952 menée par les Officiers libres et publiait les bonnes feuilles de Philosophie de la révolution de Gamal Abdel-Nasser. Autour de l’Emir Abdelkrim al-Khattabi réfugié en Egypte depuis 1947, certains nationalistes maghrébins expatriés au Caire s’employaient à défendre la cause du Maghreb dans l’ensemble du Machrek au sein du Comité de Libération du Maghreb Arabe. Au moment du déclanchement de la Révolution algérienne, les membres de la délégation extérieure du Front de Libération Nationale (FLN) se trouvaient dans la capitale égyptienne.

L’identité arabo-islamique était clairement affirmée dans le texte fondateur du FLN appelant les Algériens à la Révolution : « La Déclaration du 1ier novembre 1954 ». Dans ce texte, le secrétariat national du FLN affirmait vouloir « la restauration de l’Etat algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques » et la réalisation de « l’Unité nord-africaine dans le cadre naturel arabo-musulman » (10). La fédération de France du FLN défendit activement ces idées nationalistes, islamiques et unionistes au sein de l’immigration.

Après les indépendances politiques, les mouvements politiques de la communauté arabo-musulmane en France durent se réorganiser en fonction de nouvelles données nationales et internationales. L’un des faits majeurs ayant bouleversé la situation politique de l’immigration maghrébine fut le départ des cadres de la fédération de France du FLN pour qui la construction de l’Algérie était un objectif prioritaire. Au même moment, en sens inverse, un flux important d’ouvriers immigrés maghrébins arriva en France afin de répondre aux besoins de développement de l’économie française en pleine période de « croissance » durant les « trente glorieuses ». En conséquence, la lutte de la communauté arabo-musulmane se réorganisa autour d’opposants Marocains, Algériens, Tunisiens et de militants arabes venus du Machrek arabe. La lutte pour la libération de la Palestine occupa une place déterminante dans le nouvel agenda politique des militants. L’assassinat à Paris en 1973 de Mohammed Boudia, ancien militant du FLN devenu partisan actif de la Révolution palestinienne, par les services secrets sionistes était le symbole de cette centralité de la cause palestinienne et d’une conscience panarabe active. En 1972, des militants arabes créèrent le Mouvement des Travailleurs Arabes (11) (MTA) qui marquait la réorganisation des luttes de la communauté arabo-musulmane.

Issu des Comités Palestine, fondé lors de la Conférence Nationale des Travailleurs Arabes des 17 et 18 juin 1972 à Paris, le MTA était composé d’étudiants et d’ouvriers immigrés affirmant leur appartenance à la nation arabe. Ils étaient proches des maoïstes de la Gauche Prolétarienne et de la gauche chrétienne. Le passage d’une action collective concentrée sur la cause palestinienne à la dénonciation de la « réaction arabe » au Maghreb et au Machrek et à une mobilisation sur de multiples « fronts de l’immigration » (bidonvilles, racisme, foyers, papiers, luttes ouvrières), était justifié à l’époque par la volonté de se battre pour satisfaire les besoins de l’immigration maghrébine en France. Dans leur action, les militants du MTA associaient le combat pour l’amélioration de la condition des immigrés maghrébins tout en affirmant leur attachement à leur identité culturelle arabo-islamique.

Les militants du Mouvement des Travailleurs Arabes considéraient que la lutte des travailleurs arabes en France faisait entièrement partie de la Révolution arabe. Ces considérations étaient à la base d’une volonté affirmée d’autonomie politique et culturelle des militant du MTA qui, selon Abdellali Hajjat, se vérifiait à trois niveaux : « Alors que la vision dominante de l’immigration en France se fonde sur le concept d’assimilation-intégration […], les revendications culturelles des militants des comités Palestine (apprentissage de la langue arabe, reconnaissance des fêtes religieuses…) s’en écartent, sans pour autant tomber dans le séparatisme culturel ou religieux. Le deuxième est celui de l’autonomie politique et organisationnelle. Dans l’usine ou au foyer, la parole et le pouvoir de décision des travailleurs immigrés sont niés, d’où la volonté de s’émanciper des tutelles syndicales et corporatistes et de s’auto-organiser. Le troisième enjeu est celui du double isolement : les militants doivent éviter de se couper de la société française et de l’immigration maghrébine en France, pour pouvoir être efficaces et avoir une assise politique » (12).

Malgré son projet ambitieux, le MTA s’auto-dissout en 1976. Cela marqua le déclin de la référence arabe ou arabo-islamique dans le mouvement de l’immigration. Sur la scène internationale, les échecs plus ou moins importants des régimes nationaux post-indépendance, la répression exercée contre le mouvement national palestinien, le déclenchement de la guerre civile libanaise en 1975 et les compromissions d’Anouar El Sadate participaient au désenchantement du monde arabo-islamique déjà meurtri par l’humiliation de juin 1967. Ces revers marquaient le recul des luttes de libération nationale dans le monde arabe.

Omission et amputation de la référence arabo-islamique

A partir des années 1980, une nouvelle génération de militants émargea. Contrairement à leurs prédécesseurs, les militants de cette nouvelle génération étaient souvent nés en France et ils y avaient été scolarisés. En raison de cette différence, la référence à la culture arabo-islamique était moins évidente pour eux que pour leurs prédécesseurs. Elle fut plus ou moins éludée des références de la majorité des militants de cette génération. Dans cette occultation, deux tendances, en apparence opposées, au sein de l’immigration ont joué un rôle particulier. D’un coté par les associations assimilationnistes qui récusaient toute référence arabo-islamique ou la réduisaient à un simple folklore. De l’autre côté, par certaines associations musulmanes qui promouvaient un islam désincarné détaché de toute référence à la civilisation arabo-islamique.

A la suite de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983, des associations assimilationnistes, véritables « Appareil idéologique d’Etat » (13) postcolonial, furent chargées de promouvoir une intelligentsia de dépersonnalisés qui se réclamaient uniquement de la « civilisation française », de la République et de ses valeurs. Malgré cette posture assimilationniste, les dépersonnalisés souhaitaient rester attachés au moins formellement à leur « milieu » d’origine sans lequel ils ne pouvaient prétendre jouer un rôle quelconque dans l’espace politique français. Cette nouvelle intelligentsia de dépersonnalisés avait pour principale ambition de devenir les « interlocuteurs respectables » des responsables politiques français. Pour cela, les acculturés s’efforcèrent de se présenter comme totalement étrangers à leurs « congénères » qu’ils présentaient fréquemment comme des « arriérés » aux coutumes « barbares ». Pour donner des gages aux occidentalistes et autres républicains dominants, ils s’attachèrent à dénoncer les « chevaux de Troie de l’islamisme international » adeptes de pratiques « anti-républicaines ». En fait, les dépersonnalisés participaient directement au renforcement des structures de domination raciste pesant sur la communauté arabo-musulmane.

Réifiés par les occidentalistes, les acculturés cessaient, du fait de leur conditionnement culturel, d’être maîtres d’eux-mêmes et se transformaient en « marionnettes » entre les mains des dominants occidentaux. Pendant des années, ces acculturés firent tout pour s’approprier un univers culturel qui leur enjoignait de se départir de leur culture d’origine, considérée comme inférieure et archaïque. Les acculturés, auxquels leurs commanditaires « bien intentionnés » avaient enseigné la supériorité de la culture occidentale, entretenaient un rapport aliéné et aliénant à la référence arabo-islamique. Ils avaient incorporé le regard dévalorisant que l’Occident porte sur leur culture, leur histoire, leur peuple et leur civilisation. Cette culture du mépris inculquée aux dépersonnalisés, les condamnait à haïr leur être profond, à adorer la culture occidentale dominante et à mépriser tous ceux qui restaient attachés à leur identité arabo-islamique.

Leurs « références » culturelles se limitaient aux humanités gréco-latines, à la Renaissance européenne, au siècle des Lumières et à la Révolution de 1789 pour se conclure dans la République française véritable incarnation des valeurs « universalistes » et « égalitaires ». Parfois, les acculturés invoquaient le nom d’Abou al-Walid Mohammed Ibn Rushd, rebaptisé « Averroès » pour cause d’idéologie assimilationniste, tout en s’empressant de rappeler tout ce que le philosophe arabo-musulman devait à la culture hellénistique génitrice de l’Occident contemporain. Dans leurs perspectives, l’un des rares rescapés de quatorze siècles de civilisation arabo-islamique ne pouvait être qu’un homme maîtrisant les références « occidentales », grecques, c’est-à-dire les seules références ayant une quelconque valeur aux yeux de leurs commanditaires blancs (14). Comme leurs maîtres orientalistes, les acculturés ont réduit la culture arabo-islamique à ses « influences », réelles ou supposées, grecques, latines, juives ou/et chrétiennes. N’ayant, selon eux, peu d’intérêt en elle-même et pour elle-même, la civilisation arabo-islamique n’avait de valeur qu’en tant que transmetteur des humanités gréco-latines entre l’Antiquité romaine et la Renaissance européenne au cours du sombre Moyen Âge occidental.

Dans leur rapport à la référence arabo-islamique, les acculturés adoptèrent sur leur propre culture la vision développée par les orientalistes (15). Leur compréhension de la culture et de la civilisation arabo-islamique était donc occidentalocentriste c’est-à-dire qu’elle adoptait un système de référence occidentale pour comprendre – et surtout déprécier – la culture arabo-islamique. Développant un « habitus orientaliste », les acculturés voyaient dans la culture et la civilisation arabo-islamique ce qu’en percevaient les occidentaux c’est-à-dire qu’ils la réduisaient, le plus souvent, à une culture unilatéralement obscurantiste et oppressive. Les thèses assimilationnistes des acculturés sont en fait l’expression d’une redoutable aliénation de l’identité arabo-islamique porteuse d’histoire et de culture.

De leur coté les associations musulmanes qui revendiquaient leur islamité, ont souvent réduit l’Islam à une « simple » foi transcendante éludant par là son caractère de civilisation immanente. Réduisant l’Islam à une simple pratique cultuelle, les questions prioritaires de ces associations, et des intellectuels musulmans proches d’elles, portaient sur la compatibilité de la foi musulmane avec son environnement occidental : « Comment être musulman et français » ou bien « comment être musulman dans un environnement laïc et républicain ? ». Dans cette perspective, ces associations s’attachèrent à expliquer qu’il n’y avait pas de contradiction entre le fait d’être citoyen français, de respecter le cadre légal républicain et laïc et le fait d’être pleinement musulman. Pour exprimer leur identité française ou européenne, elles firent la promotion d’un « islam de France », d’un « islam gallican » ou encore d’un « islam européen » détaché de toute référence à la culture et à la civilisation arabo-islamique.

Malgré l’opposition à laquelle ces associations ont dû faire face de la part des autorités françaises et des médias, cet islam désincarné, « internationaliste », était naturellement compatible avec l’idéologie assimilationniste dominante en France bien que la préservation de pratiques cultuelles musulmanes restait problématique pour les assimilationnistes intransigeants qui souhaitaient une dilution complète de l’être musulman dans l’occidentalité. La profusion de « F », pour « français » ou « de France », dans les sigles de ces organisations musulmanes gravait jusque dans leur nom cette volonté de promouvoir un islam désincarné, détaché de ses racines civilisationnelles, compatible avec la logique de l’idéologie assimilationniste française. En raison de cette compatibilité, l’« islam de France » ou l’« islam européen » désincarné est un instrument efficace du pouvoir politique français pour instaurer un contrôle culturel, idéologique et organisationnel, de la communauté musulmane vivant dans l’hexagone. L’idée d’un « islam de France » permettait de couper les musulmans de leur identité civilisationnelle pour les enfermer dans une perspective uniquement hexagonale.

Dans leur rejet ou dans leur minoration de l’identité arabe, même si elles affirmaient vouloir construire un « islam de France », ces associations musulmanes avaient importé certaines idées relatives au nationalisme arabe développées dans ces circonstances particulières par un courant islamique précis. Ce courant contestait toute référence à l’arabité, au nationalisme arabe, à l’unité arabe ou à la nation arabe au nom d’un islam « internationaliste » désincarné. Il présentait toutes ces notions politiques comme « anti-islamiques » principalement en raison de son conflit ouvert avec certains régimes se réclamant du nationalisme arabe. Ce conflit l’a amené à confondre la condamnation de ces pouvoirs et l’idée d’arabité ou d’unité arabe alors que cette opposition n’existait pas avant l’apparition de ces conflits politiques. Ces idées nées de conflits politiques au Machrek furent réintroduites, au sein de la communauté musulmane vivant dans l’hexagone, détachées du contexte dans lequel elles avaient vu le jour pour être présentées comme des impératifs religieux intemporels.

La fausse opposition entre islamité et arabité

Pourtant nombre de cadres historiques du mouvement de renouveau islamique contemporain avaient des positions singulièrement différentes par rapport au nationalisme arabe et à l’unité arabe qu’ils approuvaient. Défendant l’identité arabe de l’Algérie et réfutant la politique assimilationniste de la France, le fondateur de l’Association des ouléma algérien, le cheikh Abdelhamid Ben Badis, écrivit dans un célèbre poème dans lequel il affirmait : « Le peuple algérien est musulman et à l’arabité il appartient. Celui qui a dit que ce peuple s’est écarté de ses origines, ou qui a dit que ce peuple est mort, celui-là est menteur ». Ce célèbre poème, qui marquait l’orientation culturelle et politique de l’Association des oulémas, fut repris par l’ensemble du mouvement nationaliste algérien pour exprimer son attachement viscéral à l’identité arabo-islamique de l’Algérie (16).   

Pour l’Association des ouléma, la défense de l’islamité et de l’arabité du peuple algérien était un devoir national et religieux comme l’écrivit le cheikh Abderahmane Chibane dans l’organe du mouvement islahiste, El Bassaïr : « Un peuple qui se dépouille de son individualité, dégénère, se désagrège et devient une proie facile du colonialisme […]. Le peuple algérien ne saurait échapper à la règle. Mais une chose peut lui éviter de se dépersonnaliser et de périr, l’instruction assortie de l’éducation religieuse. Notre peuple est arabe, il entend le demeurer et l’Institut Ibn Badis travaille précieusement à former des soldats prêts à consentir le plus cher sacrifice pour la cause de la langue arabe. Notre peuple est un peuple musulman et il tient à le rester, l’Institut œuvre précisément en faveur de la pensée islamique orthodoxe » (17).

Dans le même sens, le fondateur des Frères Musulmans, Hassan al-Banna, affirmait : « L’arabisme ou l’union arabe occupe également dans notre discours une place importante et connait une grande part de bonne fortune. Les Arabes sont en effet le peuple de l’islam originel, son peuple élu et, conformément à ce qu’a dit le Prophète – paix et bénédiction sur lui : « Quand les Arabes sont humiliés, l’Islam l’est aussi ». L’Islam ne connaîtra pas de réveil sans l’unanimité et sans la renaissance des peuples arabes. […] Nous sommes convaincus qu’en œuvrant pour l’arabité, nous œuvrons pour l’Islam et pour le bien du monde entier » (18).

Certains penseurs musulmans non-arabes percevaient la nation arabe comme l’élément axial de la oumma islamique. Dans cette perspective, ils accordaient une importance particulière à l’unité arabe dans le devenir de la civilisation islamique. Ainsi, le philosophe indo-pakistanais Muhammed Iqbal déclara en conclusion du Congrès islamique de Jérusalem en 1931 : « Je crois que l’avenir de l’Islam dépend de l’avenir des Arabes et celui-ci dépend de leur union. Si l’union des Arabes venait à disparaître, l’avenir de l’Islam disparaîtrait avec lui. Vous devez combattre, sans répit les forces qui s’emploient à détruire cette union, les forces externes comme les forces internes, et peut-être plus encore celles-ci que les autres » (19).

Pour l’intellectuel palestinien Mounir Chafiq, il n’y a pas fondamentalement de distinction entre défense de l’islam et lutte de libération nationale dans le monde arabe : « Lorsqu’au dix-neuvième siècle, il y a eu l’invasion coloniale de l’Algérie, dans la résistance, il n’y a pas eu de distinction entre la résistance au nom de l’islam, et le combat national. C’était une lutte nationale contre l’occupation, une résistance nationale, motivée à la fois par des considérations nationales et islamiques. Durant les luttes de libération nationale, pour la libération nationale, au vingtième siècle, il n’y avait pas de distinction, les leaders des luttes de libération était à la fois des leaders nationalistes, musulmans, et avaient une dimension de leaders populaires, défendant la justice, c’est le cas de Mustapha Kamal en Égypte, Allal al-Fassi au Maroc, Hajj Amin al-Husseini en Palestine, Ben Badis en Algérie, l’Émir Abd al-Kader en Algérie, tous ces dirigeants étaient des dirigeants nationalistes et musulmans. Il n’y avait pas de distinction pour eux entre le nationalisme et l’islam » (20).

Dans le monde arabo-islamique, notait le sociologue marxiste égyptien Anouar Abdel-Malek, le nationalisme se propose « pour objectif – par-delà l’évacuation du territoire national, l’indépendance et la souveraineté de l’Etat national, le déracinement en profondeur des positions de l’ex-puissance occupante – la reconquête du pouvoir de décision dans tous les domaines de la vie nationale, prélude à cette reconquête de l’identité qui est au cœur de l’œuvre de renaissance, entreprise à partir des mots d’ordre nationaux fondamentaux, et sans cesse combattue, par tous les moyens, sur tous les terrains, et notamment sur le terrain intérieur » (21).

Les objectifs nationalistes de libération, d’indépendance et de souveraineté de l’Etat national, de déracinement en profondeur des positions de l’ex-puissance coloniale mais aussi de reconquête du pouvoir de décision dans tous les domaines de la vie nationale, prélude à cette reconquête de l’identité, ont pleinement leur place dans un projet politique fondé sur l’Islam en tant que religion et civilisation. Au-delà des partisans de l’islam politique, ces objectifs nationalistes peuvent être partagés par l’immense majorité des forces politiques et des courants idéologiques nationaux existants au sein de la nation arabe. Seuls les courants politiques représentant les idéaux des élites compradores occidentalisées marquent leur hostilité profonde à ces revendications politiques fondamentales car elles remettent en cause l’hégémonie occidentale à laquelle ces élites sont intiment liées politiquement, économiquement et culturellement.

S’inscrivant dans le cadre de ces objectifs nationalistes, les grands théoriciens de l’unité et du renouveau national arabe ne se sont pas montrés hostiles à l’Islam qu’ils considéraient comme partie intégrante de l’identité culturelle arabe. Certains, tels les chrétiens Constantin Zureik ou Michel Aflak, avaient fait de la religion du Prophète un élément identitaire central de l’arabisme. Dans un célèbre texte à la gloire du « Prophète arabe », Michel Aflak affirmait : « le nationalisme laïc de l’Occident est logique avec lui-même lorsqu’il sépare nationalisme et religion. Car la religion est venue en Europe de l’extérieur, aussi est-elle étrangère à son caractère et à son histoire. Cette religion est, par ailleurs une combinaison entre une foi dans l’au-delà et des règles morales. Elle n’a pas été révélée à l’origine dans la langue des peuples d’Occident. Elle ne fut pas l’expression de nécessités créées par leur propre environnement et elle ne se confondit pas avec leur histoire. L’Islam, en revanche, n’est pas une simple foi dans l’au-delà ou un code moral pour les Arabes, c’est aussi l’expression évidente de leur universalisme et de leur attitude envers la vie. L’Islam est l’expression la plus forte de l’unité de leur personnalité, qui intègre le verbe, les sentiments, la méditation, l’action, l’âme et le destin, tout en les harmonisant » (22).

Certains intellectuels arabes nationalistes développèrent plus profondément cette idée d’un nécessaire lien entre islam et arabité. Voulant ancrer le nationalisme arabe dans une perspective islamique et populaire, en 1973, Monah as-Solh expliquait, contre une élite laïciste  et occidentalisée, le « lien indissoluble » existant entre islam et arabité au sein des « masses arabes ». Dans cette perspective, il écrivait : « quand les masses arabes parlent de leur islamité et ce, quand elles parlent d’une situation politique ou civilisationnelle, elles veulent le plus souvent souligner qu’elles refusent la vassalité à l’égard de l’Occident, entendant souligner ainsi qu’elles se sentent faire partie d’un tout historique et géographique, détenteur d’un héritage, de valeurs, de racines. […] Parfois même, en proclamant leur islamité, les masses populaires entendent signaler leur attachement positif à cette dimension, signifiant aux intellectuels, aux occidentalisés, aux pseudo-avant-gardes : « J’appartiens à un monde et vous appartenez à un autre monde ; et nous sommes différents de vous. » ». Monah as-Solh ajoutait : « L’attitude de l’intellectuel progressiste arabe consiste toujours à redouter de reconnaître cette unité profonde qui unit ces deux contenus [islamité et arabisme], en apparence vu son attachement à la pureté révolutionnaire et à l’entière rectitude idéelle, mais, en réalité, étant donné qu’il redoute, s’il venait à cet aveu, de donner au mouvement de libération arabe la densité et l’efficacité qui ferait de lui [une force], allant bien au-delà de l’engagement, du sacrifice, de l’esprit combatif qu’il est prêt à prodiguer. […] lui-même, en réalité, n’est pas encore devenu arabe au degré d’arabité vécue par les masses et que son arabité n’est pas haussée au niveau de l’islamité des masses.» (23).

Dans une perspective proche, contre l’idéologie « égyptianiste », qui cherchait à détacher l’Egypte de son environnement arabe et islamique par un retour à un passé pharaonique reconstruit par l’archéologie orientaliste, Tariq al-Bichri affirmait, à la fin des années 1970, que l’islam était le meilleur garant de l’arabité de son pays. Cette idée fut un facteur déterminant de son passage d’une idéologie nationaliste arabe séculière à une perspective islamo-nationaliste : « J’avais foi dans l’arabité. Et dans mes discussions ailleurs que dans les cercles d’intellectuels, l’argument de base qui reliait l’homme égyptien à l’arabité était l’islam. Toute autre évidence n’était pas prise complètement au sérieux. Je me souviens avoir alors conclu un colloque à Beyrouth en disant : « Venant du Caire, je puis dire que rien ne protège plus aujourd’hui l’arabité de l’Égyptien que l’islam ». À ce moment-là, j’ai vraiment senti que c’était quelque chose de très profond, qui avait un impact considérable, et que l’on pouvait y chercher les réponses aux multiples questions que l’homme se posait » (24).

A la lumière des propos de ces différents acteurs intellectuels et politiques du monde arabo-islamique, il n’y a pas d’argument valable pour opposer l’islam à l’arabité ou l’arabité à l’islam. Bien au contraire, au cours de l’histoire contemporaine, ces deux éléments identitaires fondamentaux ont convergé pour insuffler un esprit de résistance, assurer la libération et préserver l’indépendance des peuples arabo-musulmans aussi bien au Maghreb qu’au Machrek. Au sein des organisations de la communauté arabo-musulmane vivant dans l’hexagone, la réunion de ces deux éléments identitaires est un facteur déterminant pour assurer notre pleine autonomie politique et culturelle face aux volontés institutionnelles d’organiser la dissolution de notre communauté dans le but avoué de l’assimiler totalement.

Spécificité et autonomie politique, idéologique et culturelle

Face à cette occultation volontaire et à cette amputation de la référence arabo-islamique, si nous souhaitons sortir du statut de réifié imposé par le système idéologique et culturel dominant – d’objet manipulable par le postcolonialisme – un nécessaire retour à la référence arabo-islamique s’impose impérativement tant au niveau politique que culturel. Ce retour s’est accéléré depuis le début des années 2000 en relation avec les bouleversements apparus sur la scène politique arabe.

La libération du sud Liban en mai 2000 par la résistance libanaise menée par le Hezbollah, le déclanchement de la seconde intifadha en septembre 2000, la victoire de la résistance libanaise dirigée par le Hezbollah en juillet-août 2006, la résistance de Gaza conduite par le Hamas en décembre 2008 et janvier 2009 ont provoqué de larges mobilisations de soutien au sein de la communauté arabo-musulmane vivant dans l’hexagone. Pour les héritiers de l’immigration postcoloniale, ces mobilisations ont été des étapes successives d’un retour collectif à l’identité arabo-musulmane. Ce retour a connu un nouvel élan avec le déclanchement des révolutions dans le monde arabe à partir du mois de janvier 2011. L’expression de la solidarité avec les révolutions tunisienne puis égyptienne a été un moment important de réappropriation d’une identité arabo-musulmane que certains souhaitaient bannir définitivement.

Systématiquement, l’expression publique de la solidarité avec les luttes du monde arabe a marqué une étape dans la réappropriation de la culture arabo-islamique par les héritiers de l’immigration postcoloniale. Les luttes du monde arabe ont puissamment participé à la réhabilitation d’une identité culturelle et politique dépréciée et marginalisée en France. Cette réhabilitation de l’identité arabo-islamique a aidé à l’autonomisation politique et culturelle de la communauté arabo-musulmane confrontée aux politiques racistes et islamophobes.

Dans la résistance à ces politiques, il est indispensable de refaire sienne une culture, une histoire et une civilisation dont nous sommes héritiers et face à laquelle les assimilationnistes cherchent à nous mettre en situation d’extériorité. Cette réappropriation culturelle est une étape indispensable devant permettre d’aboutir à une véritable autonomie politique, idéologique et culturelle de la communauté arabo-musulmane. Sans référence idéologique et culturelle spécifique, l’autonomie politique ne peut être qu’une autonomie formelle puisque les esprits resteraient toujours enchaînés à la culture et à l’idéologie dominante et dépendraient de ses orientations fondamentales. Sans autonomie idéologique et culturelle, les prétendants à l’autonomie politique risquent de se muer en simples « ventriloques » des représentations de l’Occident impérialiste. L’autonomie doit donc nécessairement se construire en liaison avec la notion de spécificité enracinée dans l’expression d’une culture arabo-islamique singulière.

Cette notion de spécificité doit se construire par une rupture consciente avec certaines questions posées par les dominants occidentaux qui ne sont pas prioritaires pour les populations qui appartiennent à des peuples et à des cultures dominés. Un groupe social dominé ne peut pas dépendre culturellement et idéologiquement, s’il veut être autonome et s’il désire se libérer, des questions posées par le groupe dominant mais doit être capable de poser de manière indépendante ses propres interrogations, de développer ses propres problématiques et de chercher ses propres réponses en traçant sa voie de manière pleinement souveraine. Ce retour sur soi pour soi nécessite une relecture critique de la culture occidentale inculquée permettant, non pas de la rejeter globalement sans faire de discrimination en son sein, mais de sortir de la fascination aliénante qu’elle exerce.

Au-delà de cette relecture critique de la culture occidentale dominante, le retour sur soi doit se faire par un approfondissement de notre maitrise de la culture et de l’histoire arabo-islamique. Dans ce cadre, le développement d’une conscience culturelle et historique participe à la construction de notre autonomie à partir de la spécificité de notre patrimoine et de notre héritage civilisationnel arabo-islamique. Cette conscience historique devant nous permettre de puiser dans notre patrimoine civilisationnel pour répondre aux problèmes que nous nous posons.  

La notion de spécificité identitaire doit se comprendre comme un refus de se noyer dans un universalisme occidentalocentriste sans rivage. Certains perçoivent la mise en avant de cette identité arabo-islamique comme un repli identitaire et un enferment communautaire qui serait in fine une sorte de ségrégation inversée. Toutefois, ils oublient que la ségrégation est une forme d’oppression imposée par les dominants alors que l’autonomie ou la séparation est un choix libre décidé par des acteurs responsables et indépendants. En réalité, la notion de spécificité identitaire doit nous permettre de nous distancier des perspectives acculturantes qui renient toute référence arabo-islamique et recherchent coût que coût l’assimilation à la culture dominante occidentale. Mettre en avant la notion de spécificité identitaire implique de développer une indépendance d’esprit et une capacité créatrice devant des tâches politiques et culturelles nécessitant une approche renouvelée.

Nadjib Achour et Youssef Girard
18 mars 2012

Notes de renvoi :

(1) Kaddache Mahfoud, Histoire du nationalisme algérien, tome I, 1919-1939, Paris, Ed. Paris-méditerranée, 2003, page 317

(2) Cf. Harbi Mohammed, Le FLN mirage et réalité, Des origines à la prise du pouvoir (1945-1962), Paris, Ed. Jeune Afrique, 1980, page 18

(3) Stora Benjamin, Messali Hadj, 1898-1974, Paris, Hachette, 2004, page 110

(4) L’Algérie Libre, août 1949

(5) Kaddache Mahfoud, op. cit., pages 315-316 –Sur le nationalisme arabe défendu dans les colonnes de la revue La nation arabe Cf. « Nationalisme arabe – nationalisme occidental », URL :  http://www.ism-france.org/analyses/Nationalisme-Arabe-Nationalisme-occidental-8207-article-12631

(6) Stora Benjamin, op. cit., page 109

(7) Ibid., pages 112-113

(8) Khider Ameur, La vie d’un orphelin, Mémoires d’un grand militant, Alger, Ed. Ihaddaden, 2006, pages 259-260

(9) Julien Charles-André, L’Afrique du Nord en marche, Paris, Omnibus, 2002, page 159

(10) « Déclaration du 1ier novembre 1954 », URL : http://fr.wikisource.org/wiki/D%C3%A9claration_du_1er_novembre_1954

(11) Sur  le MTA cf. les différents articles d’Abdellali Hajjat : « L’expérience politique du Mouvement des travailleurs arabes », ContreTemps, Textuel, vol. mai 2006, n°16, Paris ; « Les comités Palestine (1970-1972). Aux origines du soutien de la cause palestinienne en France. », Revue d’études palestiniennes, Editions de Minuit, vol. hiver 2006, n°98 ; «  Le MTA et la « grève générale » contre le racisme de 1973 », Plein droit, 2005, n°67, Paris ; « Des comités Palestine au mouvement des travailleurs arabes (1970-1976), in. Histoire politique des immigrations (post)coloniales, France 1920-2008, Paris, Ed. Amsterdam, 2008, pages 145-156

(12) Hajjat Abdellali, « Les comités Palestine (1970-1972) », Revue d’études palestiniennes, n°98, hiver 2006

(13) Cf. Althusser Louis, « Idéologie et appareils idéologiques d’Etat (Notes pour une recherche) », La Pensée, n° 151, juin 1970, URL : http://classiques.uqac.ca/contemporains/althusser_louis/ideologie_et_AIE/ideologie_et_AIE_texte.html

(14) Précisons qu’il ne s’agit nullement de remettre en cause l’œuvre d’Abou al-Walid Mohammed Ibn Rushd mais de critiquer l’instrumentalisation de son image. Sa philosophie, d’un apport indéniable, inspire encore des philosophes arabes contemporains comme Mohammed Abed al-Jabri qui lui a consacré de nombreuses études.

(15) Sur la déconstruction de l’orientalisme Cf. Saïd Edward, L’orientalisme, L’orient créé par l’occident, Paris, Ed. Seuil, 1997.

(16) Ce célèbre poème fut notamment repris dans un chant patriotique exaltant l’islamité et l’arabité de l’Algérie : http://www.dailymotion.com/video/x8ejpn_chant-patriote-chaabou-al-djazairi_news#rel-page-2

(17) Chibane Abderrahmane, « La vie de l’institut Ibn Badis. Un devoir religieux et national », El Bassaïr, n°180, 14 janvier 1952.

(18) Hassan El Banna, Textes originaux, Lyon, Ed. Tawhid, 2010, page 223

(19) Cf. Zenati Rabah, Comment périra l’Algérie française, Constantine, Ed. Attali, 1938, page 30

(20) In. Dot-Pouillard Nicolas, « De Pékin à Téhéran en regardant vers Jérusalem : la singulière conversion à l’islamisme des « Maos du Fatah » », Cahiers de l’Institut de Religioscope, N° 2, décembre 2008

(21) Abdel-Malek Anouar, Anthologie de la littérature arabe, Ed. Seuil, Paris, 1965, page 20

(22) Aflak Michel, «A la mémoire du Prophète arabe »,  avril 1943, URL : http://albaath.online.fr/Francais/COMMEMORATION_DU_PROPHETE_ARABE.htm

(23) Cf. Monah Al-Çolh, « Islamité et arabisme », in. Abdel-Malek Anouar, La pensée politique arabe contemporaine, Paris, Ed. Seuil, 1970, pages 226-230

(24) François Burgat, « Les conditions d’un dialogue avec l’Occident », Égypte/Monde arabe, URL : http://ema.revues.org/index1168.html. 

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