Dans tous les pays, les citoyens et les dirigeants sont fiers de l’histoire de leur pays. Bien entendu, celle-ci comporte des pages glorieuses et d’autres ternes. Mais tout le monde est d’accord pour que sa transmission se fasse sans la moindre falsification. Pour le cas de l’Algérie, les dirigeants ont opté pour une transmission sélective et partiale de l’histoire. Ainsi, la période précédant 1954 est considérée comme une ère n’ayant pas le droit d’être citée. Pour l’historien Gilbert Meynier : « La littérature officielle algérienne, telle que la résument les manuels scolaires censés enseigner l’histoire aux jeunes Algériens depuis l’indépendance, fait du 1er novembre 1954 le jour zéro de la libération nationale. »

Cependant, bien que les Algériens soient attachés à cet événement, certes déterminant dans la restauration de la nation, il n’en demeure pas moins que l’idéologisation de l’école n’est pas appréciée dans les mêmes proportions. Car, avant 1954, il y avait une vie politique animée. Toute proportion gardée, la décennie précédant le déclenchement de la révolution fut plus ouverte que la période du règne du parti unique, de 1962 jusqu’à 1989. En effet, bien que le système colonial soit exécrable au sens littéral du terme, les nouveaux maitres n’ont rien fait pour corriger les privations ayant été le lot de la vie des Algériens pendant l’occupation.

Donc, contrairement à l’idéologie officielle, le FLN n’est pas survenu ex nihilo. Bien avant lui, le mouvement national a existé avec ses défauts et ses qualités. Et sa composante fut très large. Elle allait des serviteurs du régime colonial aux militants dévoués à l’indépendance nationale. Concernant le FLN, il est justement issu de cette dernière catégorie. Car ni les Oulémas, ni les modérés ne combattirent pour juguler le système colonial. Le seul parti nationaliste qui a lutté ouvertement pour l’indépendance fut dénommé successivement ENA (Étoile nord-africaine), PPA (Parti du peuple algérien) et ensuite la combinaison PPA-MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques).

Toutefois, le premier parti est créé à Paris en 1926. Contrairement au courant intégrationniste –tous les autres mouvements –, l’ENA revendique tacitement l’indépendance de l’Algérie. En 1936, le parti devient uniment incontournable dans le paysage politique algérien. Pour Gilbert Meynier : « Au moment du projet Violette, l’ENA se dissocia de tous les autres mouvements algériens. Ces plébéiens ne firent pas partie du Congrès musulman [Le PCA, les Oulémas et le mouvement des jeunes Algériens conduit par Ferhat Abbas]. Dans un meeting célèbre au stade d’Alger organisé par le Congrès musulman à l’été 1936 –le 2 août précisément –, et où Messali Hadj s’auto invita, il refusa l’assimilation et revendiqua l’indépendance de l’Algérie. »

Quoi qu’il en soit, bien que Messali ait soutenu le Front populaire conduit par Léon Blum, le gouvernement de gauche décide de dissoudre l’ENA. Mais après le discours d’Alger de Messali, le parti prend des dimensions incommensurables en audience. Tout en gardant le même programme, Messali crée le PPA. À la différence du précédent mouvement, le PPA élit domicile à Alger. Désormais, le parti indépendantiste livre la bataille sur le terrain de la colonisation. Épris de justice et de liberté, les Algériens adhèrent massivement aux thèses du PPA. En 1945, le parti est laminé par une répression aveugle des autorités coloniales. Quelques militants vont envisager, après ces événements, une révolution armée. Mais la direction annule le mot d’ordre peu avant  le jour J. Depuis cette date, les activistes ne songent qu’au passage effectif à l’action armée.

D’une façon générale, bien que les évolués rejoignent les partis modérés, la base du PPA n’en démord pas. Elle croit que cette la lutte armée est inéluctable. Ainsi, malgré l’interdiction du PPA, la base reste solidaire. Toutefois, en dépit de l’amnistie générale de 1946, les radicaux prônent la rupture viscérale avec le système colonial. « Or, pour les élections législatives de 1946, Messali fit accepter par une direction réticente le principe de la participation aux élections. Au dessus du PPA clandestin se constitua donc le Mouvement  pour des libertés démocratiques (MTLD) qui obtinrent cinq des douze sièges dévolus aux Algériens au Parlement  français par le « deuxième collège » (le collège indigène) », écrit encore Gilbert Meynier.

Par ailleurs, avec cette volonté de Messali, le nouveau parti s’ouvre, par la même occasion, aux modérés. Malgré le maintien du PPA, les thèses du MTLD ne sont plus trop éloignées du parti de Ferhat Abbas, l’UDMA (Union démocratique du manifeste algérien). Cela dit, il existe bien évidemment des évolués activistes. Leur figure de proue reste indubitablement, dans les années 1940, Mohammed Lamine Debaghine. Mais la différence existant avec l’UDMA c’est que les modérés ne sont utilisés que pour contrer les activistes pressés de passer à l’action directe. Et Messali veille soigneusement à l’équilibre. Pour résumer cette ambivalence de Messali, Gilbert Meynier note à juste titre : « Messali dut compter avec les activistes, inspirés par le leader radical le docteur Mohammed Lamine Debaghine, qui voulaient mettre au premier plan le mot d’ordre de rupture violente. Il se heurta aussi à des modérés du MTLD enclins à privilégier la ligne légaliste. Le parti frappa successivement ces deux tendances. »

Par conséquent, dès 1946, Messali tente d’imprimer une ligne mi révolutionnaire mi-légaliste au parti. Comme Bourguiba en Tunisie, il n’exclut pas le recours à l’action armée. Mais celle-ci devrait servir de moyen de pression. Ce qui va amener les autorités coloniales, selon lui, à rechercher une solution politique au problème algérien. En 1947, la direction, acculée par les activistes lors du congrès de Belcourt, crée une organisation spéciale (OS). Dans les textes, celle-ci devra s’atteler à la préparation de la lutte armée. Or, pour Gilbert Meynier, « Au PPA-MTLD… la lutte armée est bien envisagée avec la formation de l’OS ; mais l’OS a toujours été considérée avec méfiance par Messali et tenue en lisière par les capacités centralistes. »

Cependant, ce mélange constitue indubitablement une bombe à retardement. A cette situation explosive s’ajoute l’éloignement de Messali, tantôt sous les verrous tantôt mis en résidence surveillée. Du coup, le parti penche petit à petit vers la solution intégrationniste. Incontestablement, le congrès d’avril 1953 consacre la victoire des modérés. Pour affermir leur emprise sur le parti, les modérés excluent les activistes de l’OS de la participation au congrès. Non content de cette orientation du parti, Messali mobilise ses partisans contre cette aile modérée du parti. Convaincue de son choix, cette aile modérée ne se laisse pas intimider. Il riposte en s’attaquant à son président. « Messali eu beau tenter de remettre la main sur le parti en désavouant, du haut de son prestige, la direction centraliste, la crise, ouverte, éclata en 1954 entre centralistes et messalistes », argue Gilbert Meynier.

Cependant, la crise va s’accentuer au fil des jours. La difficulté réside dans le fait que chaque partie campe sur sa position. Pour sortir le parti de la crise, une initiative émane des activistes proches des centralistes. Ils créent le comité révolutionnaire d’unité et d’action (CRUA). Ce comité se fixe pour mission de ressouder les rangs du parti. Mais sa composition d’éléments centralistes ou pro centralistes va vite s’avérer incapable de refaire l’unité du parti. En plus, la Kabylie messaliste, à sa tête Krim Belkacem, refuse de se joindre au comité en le jugeant pro centraliste. Une fois le CRUA dissous suite à la tenue de deux congrès, l’un centraliste et l’autre messaliste, Krim Belkacem rejoint le groupe en août 1954. Des quatre membres du CRUA, deux se détachent (Ben Boulaid et Boudiaf) et les autres restent fidèles au comité central.

Désormais, la troisième voie activiste va se concentrer sur un seul projet : la préparation de la lutte armée. Dans cette entreprise, les activistes ne comptent ni sur l’appui des messalistes ni sur celui des centralistes. Après plusieurs réunions du groupe des six (Ben Boulaid, Ben Mhidi, Bitat, Boudiaf, Didouche et Krim), rejoint par la délégation extérieure composée d’Ait Ahmed, Ben Bella et Khider,   le passage à l’action armée est décidé pour le 1er  novembre 1954. Le jour de la Toussaint, deux textes sont distribués. L’un, expliquant les raisons politiques, est signé Front de libération nationale (FLN). L’autre, invitant les Algériens à soutenir la lutte armée, est signé Armée de libération nationale (ALN).

Pour conclure, il va de soi que le FLN est le successeur naturel du PPA-MTLD. La différence entre les deux réside principalement dans la façon d’envisager la mise à mort du système colonial. Dans ce sens, le FLN se démarque du programme du MTLD. Bien que ce dernier ait existé dans un contexte où les Algériens rêvaient d’une solution politique, le FLN, quant à lui, opte pour la solution militaire. Cela dit, aucun chef, à moins que ce soit pour des raisons de mobilisation, ne table sur la victoire militaire. En revanche, pour eux, l’éventuelle négociation doit conduire à l’indépendance nationale.

En somme, comparant l’Os à l’ALN, Gilbert Meynier conclut : « C’est là une différence énorme avec l’ALN, formée en même temps que le FLN, et qui, d’emblée, ne se distingue pas du FLN. En somme, la différence avec le MTLD réside dans la situation historique : le MTLD est une institution du temps de paix, le FLN une institution du temps de guerre. » Cependant, la durée de la guerre va faire émerger de nouvelles têtes. Celles-ci pensent, avant la fin de la guerre, à l’organisation du pouvoir une fois l’indépendance recouvrée. Cette course pour le pouvoir va engendrer une crise alambiquée après l’indépendance. Le pouvoir est à celui qui montre une force persuasive. Enfin, cette vision prévaut encore et ce, malgré le demi-siècle qui nous sépare de la fin de la guerre.

Boubekeur Ait Benali
24 janvier 2012

4 commentaires

  1. Ahmed Terbah on

    Avis d’un lecteur de Hoggar
    Bonjour,

    J’ai bien lu votre article, qui selon mes connaissance est très
    proche de la réalité de l’époque de ces évènements (sans être spécialiste
    en la matière).
    Une remarque que j’ai relevé dans votre dernier paragraphe (est ce
    a mon humble avis), c’est l’emploi de l’allocution « crise alambiquée », en
    consultant le dictionnaire Larousse je trouve que le terme « alambiqué » veut
    subtil…..raffiné……alors que la crise en ce temps-ci étais féroce et à
    ciel ouvert (guerre des Wilaya historique……..prise du pouvoir par
    l’Armée des frontières……….).Alors pouvez-vous m’expliquer l’emploi de
    votre terme « alambiqué ».Je trouve celui-ci……trop léger pour la
    situation ainsi décrite par vos soins.Et merci par avance de votre réponse.

  2. ABOUPORTANT on

    أو رام إدماجا له رام المحال من الطلب
    On entend souvent dire que l’association des OULEMAS n’appelait pas et ne revendiquait pas l’indépendance de l’Algérie, qu’elle menait une politique assimilationniste, la mettant avec les communistes (entre autre), dans la catégorie des sensibilités politiques qui étaient à la traîne de la lutte armée pour le recouvrement de l’indépendance du pays.
    Or mettre dans la même catégorie le combat, et la politique des OULEMAS avec les positions carrément scandaleuses des communistes ( évènements du 08 Mai 45…) est une escroquerie historique et une injustice envers cette Association (pas un parti politique)qui a été le vivier de la révolution. Il faut dire aussi que c’est surtout les COCO qui reprennent cette thèse.
    Oublier toute la littérature et les actions menées par les OULEMAS pour éveiller les consciences , préparer les gens à la prise de leur destin, et se libérer du joug colonial, et ne retenir que ce meeting du Congrés Musulman ou un certain déplacement à Paris est, intellectuellement malhonnête .
    Une lecture objectif des faits, suppose une compréhension de la conjoncture de l’époque , et c’est comme cela qu’il faut essayer de juger telle ou telle action des différents protagonistes .
    En outre, les OULEMAS doivent être jugés sur l’ensemble de leur travail et ne pas mettre uniquement l’accent sur des erreurs d’appréciation ou autre maladresse politique qu’on pourrait leur imputer pour leur coller injustement cette étiquette d’assimilationniste.
    Voila ce que dit BEN BADIS en 1931
    « Nous avons cherché dans l’histoire et dans le présent et nous avons constaté que la nation algérienne musulmane s’est formée et existe, comme se sont formées toutes les nations de la terre. Cette nation a son histoire illustrée par les plus hauts faits ; elle a son unité religieuse et linguistique ; elle a sa culture, ses traditions et ses caractéristiques, bonnes ou mauvaises comme c’est le cas de toute nation sur terre. Nous disons ensuite que cette nation algérienne n’est pas la France, ne peut être la France et ne veut pas être la France. Il est impossible qu’elle soit la France, même si elle veut l’assimilation. Elle a son territoire déterminé qui est l’Algérie avec ses limites actuelles. »
    Est- ce des propos d’assimilationniste.

  3. Succession (PPA-MTLD)-FLN
    L’article ne contredit pas les écrits connus de notre histoire récente. Cependant, une remarque me semble opportune. Affirmer que le FLN est le successeur naturel du PPA-MTLD est un radouci et il est illusoire de le considérer comme la résultante d’un mouvement national riche par ses acteurs et leurs idées. Le FLN a exigé de tous ceux qui l’ont rejoint dans la lutte armée, qu’ils le fassent à titre individuel en ayant dissous pour certains, les mouvements qu’ils animaient…Que des idées aient été empruntées au PPA-MTLD ne fait pas d’eux l’essence du FLN.
    Salutations!

  4. Succession PPA-MTLD/FLN
    Je voulais rajouter qu’une position politique défendue par un mouvement durant un moment ou une conjoncture particulière ne devrait pas constituer une étiquette collée à vie au mouvement. C’est avec ces procédés que des gens intègres ont été « exclus » comme des pestiférés.

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