Sans vouloir m’étaler avec des analyses stratégiques savantes et politiciennes sur le drame de Baba Nadjar, je laisse d’ailleurs l’expression politique et citoyenne à ceux qui ont encore l’outrecuidance d’en faire sous le ciel immuable de l’état d’urgence et des tractations périlleuses entre le statu quo et le sur-place, il est néanmoins salutaire, et dans le seul but de sauver la vie d’un compatriote en danger de mort, de bien situer les enjeux pour ne pas se tromper de porte et de déverrouiller un dossier qui semble tomber sous le coup du  boycott.

Lever le voile sur cette affaire va certainement contribuer à mieux comprendre, pourquoi et pour la première fois, un opposant, un militant des droits de l’homme est sacrifié aussi allègrement et dans un mutisme des mieux synchronisés.

Condamné à mort puis à perpétuité pour le meurtre d’un autre militant comme lui, personne ne semble trouver quoi que ce soit à dire dans cette affaire de droit commun paraît il.

On se souvient que lorsque Benchicou a été condamné dans une affaire de délit économique, ce fût une toute autre ambiance ; certes cela n’empêcha pas la vendetta, mais l’arsenal et l’investissement des uns et des autres n’a pas été sans effet.

Je ne voudrais pas revenir sur l’affaire Gharbi non plus, mais est ce que les droits de l’homme chez nous ont aussi des parents pauvres ?

Quand on connaît les accointances, les corrélations et les retours d’ascenseurs entre les appareils des droits de l’homme et ceux des dits partis d’opposition, on se demande bien ce que vaut la vie d’un militant pour son parti politique.

On a ainsi beau essayé d’expliquer ce dessaisissement de l’affaire Baba Nadjar et ces  non-dits trop abjects, il y a là une odeur de revanche, de messe basse et de violons accordés contre toute une fédération et toute une région.

Baba Nadjar condamné à perpétuité par la justice Algérienne semble à priori payer seul le défi de toute une région qui a, contre vents et marrées, décidé de briser le silence, les préjugés qui arrangent tout le monde, les versions folkloriques du pouvoir, l’hypocrisie de notre religiosité de façade et de notre lamentable ministère des affaires religieuses qui s’accordent pour continuer d’ignorer le rite Ibadhite, une région qui a décidé  d’affronter le pouvoir sur place, de dénoncer frontalement la mafia locale qui détruit une ville, une histoire et une communauté Algérienne des plus ancrées, n’épargnant pas jusqu’aux canalisations séculaires qui ont toujours  protégé et irrigué Ghardaïa, en d’autres termes, une région qui vient rappeler haut et fort que nul n’est épargné par la voyoucratie et que Ghardaïa est tout simplement une zone comme toutes les autres, une contrée de non-droit, captive et sous le joug d’un pouvoir illégitime qui  a longtemps entretenu l’idée que le  M’zab était une sorte de réserve « d’indiens », une région carte postale  où tout le monde est très heureux et très riche et où surtout, il ne se passe rien.

Le choix d’affronter, de militer pour les droits de l’homme (qui l’eût cru, on parle de droits de l’homme à Ghardaïa !), de s’exprimer publiquement et d’investir le champ miné de la lutte politique s’est fait via le FFS, le parti d’opposition le plus ancien, le plus respecté et le plus enclavé en même temps.

Pourtant, Ghardaïa va subir un tir croisé et synchronisé et pas seulement en provenance des tenants du pouvoir et de leurs relais habituels et endémiques, Baba Nadjar est ainsi en train de  payer EGALEMENT le prix de la posture courageuse de la fédération du M’zab face à une instance  nationale  du FFS qui ne font pas la différence entre partenaire, compagnon de lutte et rival ou encore subalterne.

Car ceux qui ont cru faire de la décoration ou une extension de vitrine avec les militants de Ghardaïa ont vite vu que sur le terrain, ces militants charismatiques, disciplinés, pieux et modestes ne se laissaient manipuler par personne.

De ce côté ci de l’Algérie, on le savait depuis des siècles, l’allégeance ne se conjugue qu’avec la compétence.

Jusque là nous savions que le FFS était toléré, voir assigné à sa seule région historique, la Kabylie, nous nous doutions bien que cette région ghettoïsée politiquement était le lieu de prédilection, tout près de la capitale, de toutes les manœuvres et les expérimentations macabres, nous savions aussi qu’il y allait de la sureté du pouvoir, pardon je voulais dire de la sureté de l’Etat, de ne jamais laisser ce parti prêcher en dehors des dites frontières, et avoir en effet osé s’aventurer dans une autre zone-chasse gardée comme Ghardaia aurait réellement pu déranger au plus haut point.

On constate par exemple que les schémas appliqués à la Kabylie ont été adaptés à la région du M’zab, provocations, émeutes, manipulation de la dimension identitaire (arabe chaabna et Mozabites) et bien sûr faux représentants de la population mandataires de la mafia locale.

Pour des raisons peut être spécifiques à la région, je dis bien peut être, et stratégiques en même temps dans un sud trop sensible, et malgré les crimes odieux commis en plein mois de Ramadhan, le M’zab n’a pas basculé dans le cycle de la violence pressenti.

Il faut admettre qu’à la différence de la Kabylie, le ou les « Massinissa Guermah » Mozabites n’ont pas été tués dans un local de la gendarmerie, mais l’un brulé vif par des inconnus et l’autre condamné à perpétuité en « bonne et due » forme.

le ou les « Massinissa Guermah » Mozabites n’étaient pas des lycéens « anonymes », mais des citoyens d’un tout autre genre qui activaient pour la défense des droits de l’homme, des citoyens qui n’obéissaient  à aucune typologie officielle et que nul ministre de l’intérieur érudit ne pouvait songer à traiter de voyou.

Pourtant à bien creuser, ce n’est pas seulement la fédération de Ghardaïa qui est en train de voler en éclats, mais tout un parti dont la direction est à l’évidence tronçonnée de sa base la plus efficace et la plus sincère et dont le leader charismatique s’emmure dans un silence  prolongé et énigmatique s’exposant ainsi à toutes les spéculations.

Le silence dont s’entoure la direction du FFS face au supplice de Mohamed Baba Nadjar et qui n’est qu’une inconstance de plus, une dérobade, voir un plaquage pur et simple d’un militant vient lever le couvert sur une crasse orchestrée par des aventureux haineux et revanchards qui confortent et amusent tous les cerbères et les zélés du pouvoir.

Le M’zab qui pensait mener une bataille contre le pouvoir illégitime s’est retrouvé malgré lui sur deux fronts.

La lettre du Docteur Fekhar adressée à Aït Ahmed et restée sans suite allait définitivement lever le couvert sur les doutes, les pudeurs et les hésitations  concernant le FFS officiel, ce dernier et par la voix de son instance nationale a trop vite atteint ses limites, ses seules réponses se sont malheureusement résumées à une cascade d’injures, d’accusations et de menaces.

Entre temps, bien sûr, Baba Nadjar que beaucoup faisaient semblant de défendre est définitivement abandonné.

Heureusement, des voix parmi les militants les plus droits, les plus sérieux, les plus respectés et les plus connues, tous comme par hasard d’ailleurs devenus des Ex du  FFS, se sont exprimés pour nous éclairer et dénoncer la chape de plomb qui entoure ce parti que nul ne veut pourtant ni sacrifier ni salir et que beaucoup, craignant d’être taxés de faire la jeu du pouvoir, n’osaient pas critiquer.

En conclusion,

Si Baba Nadjar venait à mourir, à Dieu ne plaise, le FFS y laissera indéniablement des plumes et bien plus, ce qui ne sera pas sans arranger les affaires de toutes les coalitions pestilentielles.

Si Baba Nadjar obtient la révision de son procès, à l’évidence sans l’aide ni du FFS ni des ligues des droits de l’homme, ces derniers seront également définitivement discrédités et au profit d’une fédération et de militants qui à eux seuls auront incarné la véritable opposition, schéma et concession que malheureusement le pouvoir n’est pas prêt à offrir, du moins pas sans contrepartie.

Une fois de plus ce qui aurait arrangé les deux tirs croisés, c’est le statu quo et l’amnésie, encore une symptomatique typique de la  nature du pouvoir et de ses relations,  mais voilà, Mohamed Baba Nadjar est décidé à aller jusqu’au bout, sa grève de la faim illimitée est entamée et le temps n’est l’allié de personne dans cette affaire.

Le pouvoir  a, une fois de plus fois la main haute et tout à gagner dans cette affaire, et ce,  quelque soit l’issue.

Pour ma part, je me refuse à croire que ce qui reste en Algérie comme forces qui luttent pour les libertés démocratiques et les droits de la personne humaine va continuer à se taire en livrant Baba Nadjar  aux cachots et aux oubliettes.

Zineb Azouz
31 décembre 2010

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