« Quand un peuple n’a d’autres ressource que de choisir son genre de mort, quand il n’a reçu de ses oppresseurs qu’un seul cadeau, le désespoir, qu’est ce qui lui reste à perdre ? C’est son malheur qui deviendra son courage ; cet eternel refus que la colonisation lui oppose, il en fera le refus absolu de la colonisation » Préface de Jean Paul Sartre du livre d’Albert Memmi « Portrait du colonisé précédé du portrait du colonisateur ».

Cette violence a connu son apogée en mai 1945 à Sétif et Guelma. Pour les réprimés, une révolution fut inéluctable. Ainsi, les germes de la guerre remontaient incontestablement aux événements de mai 1945 dans l’est algérien. Plusieurs historiens considèrent, en effet, que 1945 a été le signal avant coureur. Et pourtant, il n’y avait pas une animosité particulière de tous les Algériens si l’on se référait à la déclaration du président des Amis du Manifeste et de la Liberté, Ferhat Abbas, du 8 mai 1945, qui s’apprêtait à exprimer le soulagement de la population algérienne suite à la capitulation des nazis. Le texte commence ainsi : « Le rassemblement des AML, qui groupe tous les Musulmans sans distinction d’opinion, fidèle interprète des masses musulmanes, s’associe, en ce jour solennel de la victoire et de la démocratie, à la joie et à la fierté des armées alliées et des peuples libres.» En revanche, au même moment, à Sétif, les Algériens tombaient nombreux sous les balles des policiers. Pour l’historien français, J.L Planche, la responsabilité de la police coloniale était indéniable. Il écrit à juste titre: « tout dérape quand un inspecteur tire, tue le porte drapeau et deux coups de feu en soutien partent du café de France ». Cependant, de leur retour des différentes campagnes, les Algériens ayant participé à la libération de la France ont trouvé leurs proches massacrés. En effet, ils ont beau agir avec loyauté, au retour ils étaient reçus par la sentence du général Duval, commandant la zone constantinoise signifiant leur neutralisation pour au moins une décennie : « Je vous ai apporté la paix pour dix ans », a-t-il promis aux colons. Contrairement à la prédiction du général, les Algériens ont commencé à s’engager davantage dans le mouvement national. Désormais, l’espoir d’un changement émanant des français devenaient tout bonnement chimérique. L’écrivain éminent, Kateb Yacine, en parlant des événements de Sétif dit : « Là se cimenta mon nationalisme. J’avais seize ans ».

Toutefois, après les massacres, les autorités coloniales promirent quelques réformes émancipatrices. Mais il fallait attendre plus de deux ans pour que renaisse un infime espoir d’évolution du statut des Algériens. Hélas, malgré la velléité de Paris de lancer quelques réformes anodines afin que l’Algérien sorte de la mouise, les grands colons ont tout fait pour les saborder. Ainsi, le pied-noir, Georges Apap, dans « ennemi intime » de Patrick Rotman, a admis qu’à l’époque, l’égalité entre les deux communautés était loin d’être effective. Il a étayé son propos en disant : « J’ai constaté que le statut de 47 n’a pas pu entrer en application à cause de l’opposition des Français d’Algérie. Ça, c’est des choses qu’il faut dire.» Toutefois, pour que le lecteur ne se perde pas, le statut de 47, était une loi, en fait, sur le statut de l’Algérie votée en 1947, au palais Bourbon. Dans son article 2, par exemple, il est écrit : « L’égalité effective est proclamée entre les citoyens français ». Il y aurait eu 63194 Français musulmans qui auraient été concernés par cette généreuse loi. Quant à ceux qui ne voulaient pas abandonner leur statut personnel, ils n’étaient que des sujets régis par le code de l’indigénat. Et c’était la quasi-totalité du peuple algérien. Bien que le statut ne remette pas en cause l’occupation de l’Algérie, il n’en demeure pas moins que ce statut qui a créé l’assemblée algérienne était unanimement condamné par les colons, selon Mohamed Harbi.

Dans une lettre ouverte, a poursuivi Harbi, adressée à Yves Chataigneau, publiée par l’Écho d’Alger, dirigé par Alain de Serigny, se résumait à la phrase suivante : « Allez-vous-en ! »

Par ailleurs, pour entériner le statut de 1947, des élections ont été programmées pour le 4 et 11 avril 1948. Sous la houlette du gouverneur socialiste Naegelen, les urnes étaient outrageusement bourrées, a commenté P. Rotman dans son film-documentaire « Les ennemis intimes ». Plus tard, le futur président du conseil, Guy Mollet, a expliqué ainsi le bourrage des urnes : « Il est évident que ce qui est sorti des urnes, ce n’est pas ce qui y avait été mis ». En outre, Il y avait pire que ce que pensait Guy Mollet. Dans les grandes villes comme Blida, Cherchell, ce sont des urnes déjà pleines, écrit Y. Courrière, que l’on apporte au matin du 4 avril. A Ain El Hammam, l’administration n’avait pas jugé opportun de convoquer les électeurs. Le paroxysme a été atteint avec l’arrestation de 36 des 59 candidats du parti nationaliste.

Dans ces conditions, quelle alternative restait-elle aux militants nationalistes face à une politique répressive coloniale? Pour Harbi : « Le nationalisme algérien se trouve dans une impasse: l’administration coloniale jugule ses progrès par la violence ».

Lorsque la guerre a éclaté en 1954, ses principaux dirigeants avaient à leur actif plusieurs années de militantisme, mais aussi une conviction que ce combat politique ne mènerait jamais au recouvrement de la liberté. Pour que cet objectif soit atteint, plusieurs moyens d’actions ont été mis en œuvre. Ainsi, dans la déclaration du 1er Novembre 1954, dans la partie consacrée aux moyens de lutte, il a été clairement mentionné: « afin d’éviter les fausses interprétations et les faux-fuyants, pour prouver notre désir réel de paix, limiter les pertes en vies humaines et les effusions de sang, nous avançons une plate-forme honorable de discussion aux autorités françaises si ces dernières sont animées de bonne foi … ». A paris, Mendès France, président du conseil, a annoncé ce qu’allait être la guerre d’Algérie : « Qu’on n’attende de nous aucun ménagement à l’égard de la sédition, aucun compromis avec elle ». Le ministre de l’intérieur de l’époque, François Mitterrand, ne disait-il pas que : « La seule négociation, c’est la guerre ».

L’effectif de l’armée passa alors de 80000 au début de la guerre à plus de 400000 à la fin des combats.

Cependant ces militaires, contrairement à la façon dont on voulait les présenter, avaient commis des crimes horribles. L’historien, P. Rotman, a recueilli plusieurs témoignages de ces acteurs de l’une des tragédies du vingtième siècle. La guerre d’Algérie a été injuste selon le capitaine pierre-Alban Thomas, ancien résistant dans la France occupée. Il a relaté sans hypocrisie ni langue de bois son passage en Algérie. Selon ce soldat : « Le plus souvent, les fellagas, passent au travers du filet. Les fellahs, eux, écopent. Car pour s’attaquer au FLN, les forces de l’ordre doivent s’en prendre à la population qu’elles sont censées protéger des rebelles. Dés le début, l’armée est prise dans une contradiction qui ne cessera de s’approfondir: comment pacifier et maintenir l’ordre en même temps! ». Jean Denis Bennet abondait dans le même sens : « Pour essayer de tuer un ou deux rebelles, a-t-il dit, l’armée massacrait tout un village ». Quant au capitaine Thomas, il raconta comment le colonel Bigeard avait monté une opération dans son secteur. Il disait ceci : « Lui, il a monté une opération sans tenir compte de nous. Il avait abattu 24 fellagas, disait-il, dans ses communiqués. En fait, nous avons su que ce n’était pas 24 fellagas, mais 24 fellahs, c’est-à-dire 24 paysans ».

Certains responsables pensaient qu’en utilisant la manière forte ils pourraient éloigner la population de ses représentants. Le capitaine Thomas ne voyait pas les choses sous cet angle. Au contraire, a-t-il conclu : « Plus la répression est forte, et plus le FLN recrute ».

Boubekeur Ait Benali
28 juin 2010

Sources :

1) Mohammed Harbi, 1954, la guerre commence en Algérie.
2) Patrick Rotman, L’ennemi intime.
3) Jean Louis Planche, Sétif 1945, chronique d’un massacre annoncé.

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