Mohammed Samraoui (1), né en 1953, s’est engagé dans l’Armée nationale populaire algérienne en juillet 1974. Après un diplôme d’ingénieur en biochimie (en 1977) et une formation d’officier d’octobre 1978 à juin 1979 (où il a fini vice-major de sa promotion), il a été affecté comme instructeur à l’école de la Sécurité militaire (SM, les services secrets de l’armée) de Béni-Messous. Il a ensuite occupé différents postes, toujours au sein de la SM, à Constantine, à Guelma et à Tipasa.

De mars 1990 à juillet 1992, il a été nommé à Alger, comme responsable du service de recherche et d’analyse à la Direction du contre-espionnage de la SM (commandée à partir de septembre 1990 par le colonel Smaïl Lamari, dit « Smaïn », numéro deux du Département de renseignement et de sécurité, DRS, nouveau nom de la SM à compter de cette date). En parallèle, il a enseigné à l’école des officiers de la SM de Béni-Messous et il a été membre de l’administration de l’état de siège en 1991, puis de l’état d’urgence à partir de janvier 1992 (décrété officiellement en février 1992), date du coup d’État organisé par les chefs de l’armée et du DRS pour annuler les élections législatives dont le premier tour avait été gagné, le 26 décembre 1991, par le Front islamique du salut (FIS).

Au cours de l’été 1992, en désaccord avec la façon dont était conduite la lutte antiterroriste, il a demandé à être relevé de ses fonctions, ce qui lui a été refusé. Il a finalement accepté d’être muté à l’ambassade d’Algérie en Allemagne, où, de septembre 1992 à janvier 1996, il a occupé les fonctions d’attaché militaire et de conseiller (responsable de l’antenne locale du DRS), avec le grade de commandant, puis de lieutenant-colonel.

En septembre 1995, son chef, le général Smaïl Lamari, venu incognito à Bonn, demande à M. Samraoui d’organiser la liquidation physique de deux islamistes algériens réfugiés en Allemagne, Rabah Kébir et Abdelkader Sahraoui, deux opposants publics et bien connus. Son refus fait capoter l’opération.

Ayant clairement manifesté ses désaccords sur leurs méthodes à ses supérieurs, il est rappelé à Alger le 26 janvier 1996. Il y retourne le 4 février. Le chef du DRS, le général Mohamed Médiène, dit « Toufik », cherche alors à « acheter » son silence, en lui offrant un poste dans son staff et en lui proposant de l’élever au grade de colonel. Mais, écrit M. Samraoui dans son livre : « Je connaissais la valeur de ses “promesses”. Le 12 février, je quittai donc le pays par le vol Alger-Bruxelles. Rester en Algérie signifiait pour moi donner des ordres à des Algériens de tuer d’autres Algériens, leur imposer des souffrances, les interner, les avilir… Ce qui était en totale contradiction avec ma conscience et avec le serment fait à nos martyrs lors de mon incorporation dans les rangs de l’ANP. » Après sa désertion, il regagne l’Allemagne, où il demande en avril 1996 l’asile politique ; l’ayant obtenu, il vit depuis lors dans ce pays avec sa famille.

Resté silencieux plusieurs années, c’est début août 2001 qu’il intervient pour la première fois publiquement pour dénoncer, sans concessions, le régime algérien, sur la chaîne arabe Al-Jazira. Il révèle alors avec précision l’instrumentalisation de la violence islamiste par les chefs du DRS, déclarant notamment : « J’ai assisté à la naissance du GIA. Il a été créé pendant l’été 1991 par le commandant Guettouchi Amar, mort au cours d’une opération anti-terroriste à Télemly. Il était secondé par le capitaine Djaâfar, chargé d’éditer les communiqués et de les transmettre aux journalistes (2). » L’émission a un très grand retentissement en Algérie.

En juillet 2002, M. Samraoui témoigne au tribunal de grande instance de Paris en faveur de l’ex-sous-lieutenant Habib Souaïdia (lui aussi dissident), poursuivi en diffamation par le général Khaled Nezzar, ancien ministre de la Défense, qui lui reprochait sa dénonciation des exactions de l’armée algérienne dans son livre La Sale Guerre (La Découverte, Paris, 2001). Le témoignage de M. Samraoui (3), calme et précis, sera décisif, comme le relate en octobre 2007 la journaliste José Garçon : « Fixant le général Nezzar, il avait expliqué : “Notre mission était de casser le FIS, l’infiltrer, le disloquer, créer des faux groupes islamistes et leur attribuer des actions violentes. Le GIA (groupes islamiques armés) est une création des services de sécurité algériens.” Sonné, le général Nezzar s’était levé : “Tout à fait d’accord avec Samraoui. Les infiltrations et les coups de Jarnac, c’est partout.” Samraoui n’avait pas lâché prise : “Mais les assassinats quand même, mon général…” Nezzar avait alors tenté : “15 000 disparus, passons. Mais dire que le GIA est une émanation des services, là, ça va trop loin…” Et le procès avait basculé : l’ex-colonel Samraoui venait de donner corps à une guerre de l’ombre plus complexe que la veulent les analyses opposant “militaires républicains” et “fanatiques islamistes” (4). »

Puis, en octobre 2003, M. Samraoui publie chez l’éditeur français Denoël un livre de témoignage sur son parcours, Chronique des années de sang . Algérie : comment les services secrets ont manipulé les groupes islamistes , présenté comme suit par l’éditeur :

Ce livre marque un tournant : son auteur, l’ex-colonel Mohammed Samraoui, ancien cadre de la fameuse « Sécurité militaire » algérienne, y révèle pour la première fois les ressorts secrets de l’une des guerres civiles les plus atroces du xx e siècle. Il a vécu, de l’intérieur, l’enchaînement diabolique qui a plongé l’Algérie dans l’horreur, faisant plus de 150 000 morts et des millions de victimes. En désaccord avec ce qu’il voyait, il a choisi de déserter en 1996.

Opposant résolu de l’islamisme radical, il n’a pas accepté les effroyables méthodes utilisées pour le combattre. À commencer par la plus stupéfiante d’entre elles : la manipulation, à un niveau insoupçonné jusqu’alors, des « groupes islamistes armés » (GIA), par ses chefs de la Sécurité militaire. C’est le cœur de son livre, qui relate dans le détail le dessous des événements-clés de cette « seconde guerre d’Algérie » : des préparatifs du coup d’État de janvier 1992 aux massacres de 1997, en passant par l’assassinat du président Mohamed Boudiaf et les attentats de Paris en 1995.

Dans ce livre extrêmement précis et documenté, M. Samraoui explique ainsi son objectif et sa position politique personnelle :

« Ayant vécu au cœur du système, je peux dire que la réalité de la guerre qui déchire mon pays depuis 1992 est bien plus complexe que ne le laissent entendre les analyses manichéennes dominantes en Europe, opposant militaires républicains et fanatiques islamiques. C’est pourquoi mon objectif est de contribuer à la vérité historique, sans aucune complaisance ni parti pris.

« Dans ce témoignage, je mets en cause les chefs de l’armée qui manipulent et instrumentalisent la violence islamiste depuis des années. Certains pourraient être tentés de croire que je me fais ainsi l’avocat du Front islamique du salut (FIS) ou des islamistes, et c’est pourquoi je tiens d’emblée à préciser que je n’ai jamais appartenu à une quelconque organisation politique et qu’il n’est nullement dans mes intentions de nier ou de dédouaner les crimes abjects commis par les islamistes, qui ont été rapportés par de nombreux ouvrages – qu’ils aient ou non été manipulés, les auteurs de ces crimes restent des criminels, qui devront être jugés un jour. S’il y a eu la guerre, c’est qu’il y avait forcément deux protagonistes : à mes yeux, les généraux et les dirigeants du FIS sont coresponsables du drame algérien. »

Et il éclaire notamment d’un jour nouveau le comportement des chefs de l’armée et des services secrets :

« Ce qu’il faut comprendre, c’est la mentalité très particulière de ces généraux, que j’ai côtoyés de près : pour eux, la vie des gens du peuple n’a rigoureusement aucune valeur, a fortiori quand ils ont manifesté des sympathies pour l’islamisme. Dès 1994, j’ai pu constater que les hommes du DRS avaient pris l’habitude de torturer et tuer leurs concitoyens comme s’il s’agissait de simples insectes. Entraînés dans ce déchaînement de barbarie, il devenait parfaitement logique que les généraux imaginent d’utiliser l’arme des massacres pour régler leurs problèmes “politiques” de 1997. »

De 2003 à 2005, M. Samraoui est proche du Mouvement algérien des officiers libres (MAOL, un groupe d’officiers dissidents exilés) et il intervient parfois sur le site Web de ce mouvement (www.anp.org) pour dénoncer le régime d’Alger et ses chefs militaires.

Après la mise en sommeil du MAOL en 2005, M. Samraoui intervient peu publiquement, se consacrant à son travail et à sa famille, ainsi qu’à sa passion, les échecs, au sein de la Fédération internationale des échecs par correspondance (www.iccf.com), dont il a été élu président en 2005.

En avril 2007, il est l’un des cinq membres fondateurs (tous en exil) d’un nouveau « mouvement politique algérien », Rachad (http://fr.rachad.org), qui se définit comme suit : « Rachad a été créé dans le but de contribuer à opérer un changement fondamental en Algérie, de rompre avec les pratiques politiques en cours depuis l’indépendance et de redonner espoir au Peuple algérien. Rachad entend œuvrer pour l’instauration d’un État de droit régi par les principes démocratiques et de bonne gouvernance. Rachad est ouvert à tous les Algériens dans le respect de leurs différences, bannit toute forme d’extrémisme, d’exclusion ou de discrimination et prône la non-violence pour amener le changement. »

Le 22 octobre 2007, alors qu’il participe au congrès de la Fédération internationale des échecs par correspondance à Benalmádena (Espagne), M. Samraoui est arrêté par la police espagnole agissant en vertu d’un mandat d’arrêt international émis le 1 er octobre 2003 par la justice algérienne et relayé par Interpol, l’accusant de « désertion, atteinte au moral de l’armée et activité terroriste ». Et il est incarcéré dès le lendemain dans la prison Soto del Real de Madrid.

Cette arrestation a suscité une vive émotion dans les milieux européens des défenseurs des droits de l’homme et dans l’opposition algérienne (Hocine Aït-Ahmed, président du Front des forces socialistes a ainsi déclaré : « C’est un authentique scandale ! L’accusation est grotesque. Au fond, le régime ne lui pardonne pas les dénonciations qu’il a faites et il tente de se venger et de lui rendre la vie impossible »).

Placé au secret durant les trois premiers jours de sa détention, M. Samraoui a finalement été mis en liberté provisoire le 31 octobre 2007, par le juge antiterroriste de l’Audiencia nacional chargé de son cas, Ismael Moreno.

Rendant compte de sa mésaventure le 3 novembre, sur le site Web de Rachad, M. Samraoui dénonçait les « accusations mensongères et grossières » portées contre lui et une « opération commanditée par les services algériens, qui cherchaient à [l]’extrader dans la discrétion la plus totale ». Et il concluait : « Cette mésaventure ne fait que renforcer ma foi dans la justesse de notre combat pour venir à bout d’un système corrompu et corrupteur. Il m’est aussi permis de lancer un appel à tous les frères et sœurs de bonne volonté pour s’unir et œuvrer contre l’injustice, pour édifier un État de droit et asseoir une démocratie authentique qui permettra au peuple algérien d’imposer sa souveraineté et de recouvrer sa dignité. »

François Gèze
6 novembre 2007

Source : http://www.algeria-watch.org/fr/mrv/mrvreve/samraoui_bio.htm#_ftn1

Notes :

1. Jusqu’en 2003, cette note reprend pour l’essentiel les éléments biographiques fournis par Mohammed Samraoui lui-même dans son livre Chronique des années de sang. Algérie : comment les services secrets ont manipulé les groupes islamistes (Denoël, Paris, 2003).

2. Voir la retranscription partielle de ses propos lors de cette émission : « Les révélations du colonel Mohammed Samraoui de la DRS à Al-Jazeera », Algeria-Watch, 6 août 2001, www.algeria-watch.org/farticle/sale_guerre/samraoui_traduction.htm .

3. Retranscrit in extenso dans l’ouvrage des minutes du procès : Habib Souaïdia , Le Procès de « La Sale Guerre » , La Découverte, Paris, 2002.

4. José Garçon , « Alger veut récupérer un colonel dissident réfugié en Europe », Rue89 , www.rue89.com, 27 octobre 2007.

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