A propos de Mohamed Sifaoui et du général Nezzar

Le film diffusé ce soir sur Arte est un magnifique portrait de Mohamed Sifaoui. Un point évoqué frustrera peut-être les connaisseurs du dossier algérien, celui concernant la rumeur lancée par des journalistes français et les services secrets algériens contre Mohamed Sifaoui pour le discréditer. Cette rumeur se base sur le fait qu’il ait témoigné contre les éditions La Découverte lors d’un procès opposant cette maison d’édition au général tortionnaire algérien Nezzar.

L’affaire commence en avril 2000, lorsque Mohamed Sifaoui fait la connaissance d’un certain Habib Souaïdia dans les locaux de l’association Reporters Sans Frontières. Souaïdia, un ancien lieutenant dans l’armée Algérienne, a beaucoup a dire sur les dérives meurtrières de l’armée faisant la guerre aux islamistes. Sifaoui accepte de l’aider. « Son témoignage était intéressant, confus parfois, mais il avait le mérite de dénoncer certaines manœuvres auxquelles avait eu recours la sécurité algérienne pendant la guerre avec les islamistes » explique Sifaoui. Il lui présente plusieurs journalistes français (Patricia Allémoniaire, José Garçon, Jean-Baptiste Rivoire, Christian Hoche, etc) et lui propose de l’aider à écrire un livre comme coauteur. Sifaoui prend contact avec François Gèze, patron des éditions de La Découverte, et lui propose le projet. Accepté avec enthousiasme.

Un contrat d’auteur est établi entre la maison d’édition la Découverte et les deux co-auteurs. Aujourd’hui encore, les éditions La Découverte et Mohamed Sifaoui sont en désaccords pour savoir si le journaliste devait apparaître comme co-auteur ou s’il devait rester nègre anonyme. Mais Sifaoui a gagné son procès contre La Découverte et le tribunal a reconnu la participation de Sifaoui au manuscrit original. Car Mohamed Sifaoui a tout simplement été débarqué par François Gèze du manuscrit final. Pourquoi ?

Le principal point de discorde est politique. A la remise du manuscrit, en novembre 2000, François Gèze est furieux. En effet, Mohamed Sifaoui a bel et bien retranscrit la dénonciation des manoeuvres de l’armée algérienne mais il a également invoqué la part de responsabilité des islamistes. Ce que Gèze voudrait gommer. Ce que Sifaouui ne peut accepter : « J’ai vécu en Algérie pendant les attentats, des amis à moi sont morts à cause des islamistes… Je n’ai aucun problème à dénoncer les pratiques de l’armée pour y faire face mais je ne pouvais pas laisser écrire, sans preuves, que les islamistes n’ont commis aucun crime ! » François Gèze le débarque purement et simplement du projet. Il fait réécrire La Sale Guerre de façon à ne retenir qu’une seule thèse manichéene : l’Armée est responsable des massacres. Moahmed Sifaoui doit le traîner en justice pour récupérer une partie de ses droits sur le manuscrit original (6 000 euros à titre de dommages et intérêts et 2 800 euros au titre des frais d’avocat). Mais l’affaire rebondit lors de la médiatisation du livre.

Habib SOUAÏDIA, présenté comme l’unique auteur, est invité sur tous les plateaux de télévision, où il défend la thèse du complot militaire et dédouane entièrement les islamistes de leurs crimes. Notamment le ce 27 mai 2001, dans le cadre de l’émission « Droit d’auteurs » sur France 5 : « Chez nous, … les hommes politiques sont des généraux, c’est eux qui décident. Il n’y a pas de président. Cela fait dix années qu’il n’y a pas de président, plus même. Il y avait des généraux, ce sont eux les politiciens, c’est eux les décideurs, c’est eux qui ont fait cette guerre. C’est eux qui ont tué des milliers de gens pour rien du tout. C’est eux qui ont décidé d’arrêter le processus électoral, c’est eux les vrais responsables. … Je ne peux pas pardonner au général Massu et au général Aussaresses les crimes qu’ils ont commis, comme je ne peux pas pardonner au général Nezzar, ex-ministre de la Défense. Il faut qu’on juge les coupables. »

Le général Nezzar porte plainte en diffamation. Chacun fait appel à des témoins. L’auteur de La Sale Guerre, par exemple, s’appuie sur le témoignage d’un ancien militaire converti à l’islam radical (qui fut son instructeur au sein de l’armée) : le capitaine Ahmed Chouchane. Mohamed Sifaoui, quant à lui, accepte de témoigner pour le Général contre SOUAÏDIA : « j’ai commencé mon témoignage par me tourner vers Nezzar et je lui ais dis : « Beaucoup de gens ici présents savent que je suis un réfugié politique et beaucoup de gens se sont étonnés du fait qu’un réfugié politique puisse témoigner en faveur d’un général algérien. (…) D’une manière la plus solennelle qui soit, je peux dire à M. Nezzar, en le regardant dans les yeux, que je ne suis pas du tout et que je n’ai pas été d’accord avec les politiques qui ont été suivies depuis l’indépendance en Algérie. Toutefois, je tiens, et j’assumerai toujours ces propos devant l’histoire et devant ma conscience, à vous rendre hommage, à vous et à vos collègues, pour avoir arrêté le processus électoral et avoir empêché des islamistes intégristes de faire de l’Algérie un autre Afghanistan. Rien que pour cela, je tiens à vous rendre hommage. » s’explique Mohamed Sifaoui.

On a le droit de penser que ce témoignage, même bien intentionné, était une erreur. Mais il n’est pas acceptable de voir des journalistes (Jean-Batiste Rivoire) ou des chercheurs au CNRS (Vincent Geisser) tenter de salir la réputation de ce journaliste en relayant une rumeur visant à le présenter comme un agent de la sécurité algérienne. A moins de considérer qu’eux-mêmes sont islamistes parce qu’ils ont témoignés aux côtés de Souaïdia et de ses alliés en faveur d’une thèse qui sert la propagande intégriste Le raccourci est tentant mais dangereux. Car que faut-il alors penser de la situation actuelle ? En effet, se sentant mourir, Bouteflika s’est découvert mystique. Non content de faire laisser son pays crever en s’asseyant sur le tas d’or que représente la rentre pétrolière, il concentre le poison en pactisant avec les islamistes, plus puissants que jamais au sein du gouvernement algérien. Le Premier ministre, Abdelaziz Belkhadem, est islamiste.

Autrement dit, si l’on devait suivre ce raisonnement, ceux qui soutiennent aujourd’hui encore les islamistes sont donc les alliés de leurs alliés, c’est à dire du gouvernement algérien. Tandis que Mohamed Sifaoui, plus que jamais enragé contre les intégristes et leurs alliés, s’oppose vigoureusement au régime algérien et à ses choix… Quitte à prendre des coups de partout. De la part d’une certaine gauche qui relaie la rumeur. Et de la part des intégristes qui viennent régulièrement lui cracher dessus et menacent de lui couper la tête. Dire que les gens se demande pourquoi il n’existe pas plus de démocrates d’origine algérienne qui osent prendre position contre les intégristes…

Caroline Fourest
mardi 28 août 2007

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