Lettre ouverte à un pouvoir schizophrène

On pourrait parier sans risque, que les cent mille figurants, dans le célèbre film « Ben Hur » ont un air beaucoup plus authentique que la demi douzaine de guignols d’orateurs et leurs quelques milliers d’auditeurs, dont nous gratifie chaque soir cette pauvre Télévision Algérienne, dans le cadre de cette irréelle et interminable campagne électorale précédant une nouvelle mascarade dite des élections législatives.

Comme si ce tapage indécent et sonnant faux, pour le renouvellement d’une vulgaire « Chambre d’Enregistrement », servant de simple faire valoir « démocratique » pouvait changer en quoi que ce soit, le cours d’une déliquescence annoncée, d’un pouvoir qui prend l’eau de toutes parts, à commencer par le délabrement biologique naturel de ses membres, – tous, au moins septuagénaires -, un délabrement sans doute aggravé par le discrédit moral qui a rejailli sur la plupart des barons du pouvoir, jusqu’aux plus hauts sommets de la hiérarchie, à la suite des récentes révélations qui ont mi à nu, les turpitudes de ce pouvoir.

L’Algérie avait-elle si cruellement besoin de « recruter » – car c’est le mot juste – de nouveaux députés rapaces, assoiffés de repas gratuits et d’hôtels de luxe, de commissions sur des marchés publics et de quotas de limousines, d’enveloppes de voyages et de pseudo missions à l’étranger ?

Comme si les bruits insolents des fêtes nocturnes de nouveaux riches provenant des hauteurs d’Alger, cherchaient à couvrir la misère silencieuse des mères de famille fouillant pudiquement au petit matin, dans les poubelles des marchés des bas quartiers.
Comme si d’anonymes jeunes chômeurs diplômés ne s’étaient pas noyés par dizaines au milieu des flots, en cherchant à fuir la misère de leur riche pays, entassés dans des embarcations de fortune, pour des horizons inconnus;

Comme si les récents scandales autour des grands crimes économiques perpétrés par la mafia politico financière n’avaient pas définitivement discrédité la classe politique algérienne dans son ensemble, y compris dans l’entourage du Chef de l’Etat.
Comme si l’Algérie n’avait rien de plus urgent à faire que d’organiser une nouvelle mascarade d’élections législatives où les marchandages sur les « quotas » tiennent lieu de suffrage populaire.

Exit donc, de la grosse baudruche médiatique d’affaires judiciaires palpitantes qui ont occupé le devant de la scène politique nationale tout au long de ce premier trimestre 2007, à travers des procès en cascade qui, bien qu’inachevés et entachés de manipulations ont néanmoins révélé à une opinion publique encore sous le choc, l’existence d’un véritable complot contre l’économie du pays. Rideau sur ce court épisode d’une « Justice algérienne triomphante réglant leurs comptes aux mafiosi » – mais dont bon nombre demeurent intouchables -. Exit de tout cela, alors même que l’opinion publique nationale est encore sous le choc du déversement de tous ces flots nauséeux de banqueroutes frauduleuses, de détournements de deniers publics et autres sinistres révélations, faites de boue et de chair, de clinquant et de milliards volés au peuple, des années durant, au nez et à la barbe de toute une pléthore de « Services de Sécurité » qui pullulent comme chacun sait, à tous les niveau des services publics.

Des crimes économiques et financiers dont le solde au plan matériel est considérable, en tant qu’il est aujourd’hui provisoirement estimé à plus de 10 milliards de Dollars, soient plus de 700 milliards de Dinars ou 70.000 milliards de centimes. Somme qui représente à ce jour, la perte la plus colossale jamais enregistrée dans les annales des grands crimes économiques et financiers à travers le monde. Des crimes économiques et financiers qui ont crûment mis à nu les mœurs politiques d’un pouvoir mafieux et immoral, incompétent et corrompu, irresponsable et incivique.

Mais aussi et surtout, – ceci expliquant cela – un pouvoir politique totalement piégé et partant, paralysé par sa propre nature schizophrène originelle, source de graves confusions des normes et des concepts dans une société algérienne où rien ne distingue plus, l’autorité civile de l’autorité militaire, l’institution officielle de la loge occulte, l’idéologie de parti du parti pris clanique, le patrimoine public de la propriété privée, le prosélytisme religieux du fanatisme laïc… Une société algérienne forcément rongée donc, par cette ambivalence de clivages invisibles et illisibles, faussant par avance, toute analyse objective de cette société et vouant à l’échec, toute tentative sérieuse d’identification et de mise en oeuvre d’un projet consensuel d’une société moderne certes, mais solidement ancrée dans les valeurs et les codes qui ont forgé son identité.

Personne n’est dupe en effet – et cela, depuis fort longtemps -, que le « pouvoir réel » dans notre pays est détenu dans les faits, par un collège secret et restreint de la haute hiérarchie militaire et sécuritaire – collège pouvant fluctuer en nombre ou en membres en fonction des rapports de force de l’heure – et qui constitue le noyau dur, garant de la pérennité du « système » qui dirige le Pays.

Un système qui s’appuie moins sur des institutions politiques que sur des clans de politiciens; moins sur le droit que sur le rapport de forces. Un système où d’authentiques Commis de l’Etat, intègres et compétents sont généralement marginalisés au profit des allégeances carriéristes et clientélistes à double casquette, sous-traitants du système, installés aux postes névralgiques de l’Etat et des Entreprises et constituant un véritable maillage policier et sécuritaire, aux plans à la fois géographique et sectoriel, où le moindre agent du système jusqu’au niveau de la moindre petite commune, est soigneusement choisi en raison du seul critère de son aptitude à servir. Aptitude mesurée donc, non pas à l’aune de la compétence, de l’intégrité ou du civisme, mais à l’aune exclusive d’un engagement sans faille au service du Système.

Rien d’étonnant donc, qu’en contrepartie, ces Commis sous-traitants du Système, – comme certains super Directeurs Centraux de Ministères, certains super Chefs d’Entreprises publiques ou certains super Walis -, se sentent forcément protégés, en vertu de leur double casquette, par des immunités non écrites qui les mettent au-dessus des lois, au-dessus de leurs autres collègues et bien entendu au-dessus des autres citoyens. Le reste coule de source: Arbitraire et « hogra », népotisme et régionalisme, corruption, détournements de deniers publics et course effrénée à l’enrichissement.

Bien évidemment, avec le vent de « démocratisation » – plus factice que réelle -, qui souffle sur le monde depuis ces dernières décennies, consécutivement à la chute du bloc communiste, et pour ne pas être en reste, « le système » algérien a bien procédé à une sorte de « make-up » par la mise en place d’un véritable « leurre institutionnel » – qui a même failli lui être fatal en 1992…… Un leurre institutionnel qui donne à l’Algérie toutes les apparence d’un Etat de Droit, avec Constitution, Président de la République, Assemblée Nationale, Sénat, organisation d’élections…etc, et qui constitue la façade civile du pouvoir, c’est-à-dire la façade « présentable et opposable aux tiers »; même si personne ne se fait d’illusion sur la réalité des choses.

L’élection arrangée de M. Bouteflika en 1999, comme Président de la République après vingt ans de marginalisation n’a rien changé à la situation, dans la mesure où l’homme est incapable de prendre le risque de sacrifier son statut de Chef d’Etat en cherchant à évincer ceux qui l’ont ramené au pouvoir et à jeter les bases d’une véritable démocratisation du pays. D’autant que son retour en grâce est comme chacun sait, le résultat d’un « deal politique » – aux clauses censément secrètes -, passé entre lui et la hiérarchie militaire, alors aux prises avec de graves accusations pénales internationales, liées aux évènements dramatiques qui ont endeuillé l’Algérie, tout au long de la « décennie noire » qui a suivi l’arrêt du processus électoral de Janvier 1992.

Or, – et ce n’est là un secret pour personne -, il semblerait que les deux clans initialement co-partenaires du pouvoir depuis 1999, le clan de M. Bouteflika et ses partisans d’une part et le clan des Chefs de la hiérarchie militaire et sécuritaire d’autre part se livrent mutuellement aujourd’hui une véritable guerre de tranchées pour le contrôle de la réalité du pouvoir.

Paradoxalement cette confrontation semble se dérouler à un moment où les deux clans sont extrêmement affaiblis, aussi bien au plan moral, du fait des grands scandales financiers qui les ont tous éclaboussés les uns après les autres, qu’au plan physique, la santé des principaux chefs des deux clans respectifs étant lourdement dégradée. Sans parler de la fatale dégénérescence biologique et intellectuelle naturelle, due à leur âge avancé de septuagénaires largement usés, qui plus est, par l’exercice du pouvoir. Encore que l’opinion publique ne peut s’interroger que sur l’état de santé du Chef de l’Etat, à travers ses apparitions publiques; le statut secret des membres de la « loge » ne laissant transparaître que deux états biologiques possibles: celui de mort ou celui de vivant !

Mais revenons à la raison de cette sourde confrontation. Elle se résume à un chiffre: le formidable matelas de près de 100 milliards de dollars de réserves accumulées par l’Algérie, grâce au pétrole et dont le contrôle, d’une partie tout au moins, directement ou indirectement à travers de fabuleux marchés publics – en cours ou à venir -, suscite la convoitise acharnée entre « faiseurs » dans les deux clans. Une convoitise acharnée, aussi bien des plus repus de la faune des dignitaires, – si on ose dire – que parmi leurs clientèles respectives. Sans parler des « nouveaux charognards » générés à la périphérie du système, – barbouzes, gorilles et autres témoins gênants, subitement travestis en hommes d’affaires par la seule grâce du port d’un costume cravate et d’un crâne aussi rasé extérieurement qu’il l’est intérieurement – encouragés qu’ils sont, par un régime qui ne cache même plus, ni ses tares ni ses vices, ni son immoralité ni sa corruption. Un régime putride qui semble n’avoir plus pour dieu que lui-même et le pouvoir. Ce pouvoir générateur de tant d’argent et de tant de privilèges. A défaut d’honneur ou de mérite. Ainsi qu’en témoigne l’actuelle mascarade de campagne pour les élections législatives qui ne fait qu’attiser les ambitions et les appétits des hyènes et des charognards de tout poil.

Il suffit de suivre – quand on en a le courage – les tristes spectacles dont nous gratifie tous les soirs cette Entreprise d’abrutissement populaire qu’on nomme ici « Télévision Algérienne », retransmettant depuis des semaines, comme dans un cauchemar obsessionnel, les guignolesques meetings des uns et des autres, à travers le pays. On eût dit pour certains, qu’ils venaient d’être subitement retirés de leur sarcophage de naphtaline, comme M. Saïd Saadi le leader du RCD, absent depuis si longtemps des écrans et subitement rejailli. Pour d’autres, comme M. Sidi Saïd de l’UGTA ou le leader du Hamas, M. Bougara Soltani, on les croyait franchement en prison, à force d’avoir entendu citer leurs noms parmi les délinquants impliqués dans l’affaire Khalifa Bank. Un M. Soltani qui a même poussé l’affront lui, dans une envolée qui se voulait oratoire, jusqu’à demander carrément à tous les dirigeants politiques du pays, appartenant à l’effectif des moudjahidine, de quitter la scène politique, après les avoir ironiquement remerciés, « pour tout ce qu’ils avaient fait pour le pays ». C’est dire à quel niveau de déshérence notre pauvre pays semble être tombé, au point qu’une espèce de va-nu-pieds de la politique, – islamiste de service et potentiellement délinquant -, de l’acabit d’un Bougara Soltani, ait eu la témérité et l’outrecuidance de se poser en moralisateur.. On aura tout vu dans ce pauvre pays.

Quant aux images qui ne sont pas retransmises, ce sont celles des dizaines, voire des centaines de députés sortants ou nouveaux candidats, sillonnant le territoire national en long et en large, en quête de parrainages locaux ou régionaux – souvent moyennant monnaie sonnante et trébuchante -, comme au temps des « assemblées algériennes » de la période coloniale. Ailleurs, dans une petite Commune du Sud, c’est un cortège de plusieurs Toyota de la gendarmerie nationale – toutes sirènes hurlantes – qu’on a vu passer, escortant un ancien Chef de Gouvernement et chef de parti, venu rendre visite à un ancien moudjahid, notable de la région dans le cadre de cette chasse aux parrainages.

C’est ce même ancien Chef de Gouvernement d’ailleurs qui vient récemment de gloser sans rire dans un de ses meetings, sur la nécessité « de lutter contre la corruption dans notre pays », alors que lui-même fait l’objet de rumeurs persistantes depuis des mois et des mois, affirmant qu’il est derrière la flotte des quelques centaines d’autobus oranges « Mercédés » flambant neufs et bénéficiant du monopole du transport universitaire, générant des revenus annuels estimés à plusieurs centaines de millions de Dinars.
C’est assez souligner que l’heure n’est vraiment pas aux élections.

Que l’idée même d’élections dans notre pays – en plus de leur caractère inopportun – est intimement associée, dans l’imaginaire populaire à l’idée de fraude, de tricherie, de falsification, de répartition mafieuse de quotas de députés.

Car, il semble irréel et incongru, pour ne pas dire insultant pour l’intelligence de ce peuple, qu’on vienne lui parler aujourd’hui d’ « élections législatives ». au moment où l’Etat est en quasi déshérence dans des domaines majeurs qui font sa raison d’être socio politique, en particulier la Justice et la Sécurité, la création d’emplois et de richesses et la protection sociale des plus faibles.

L’Algérie serait-elle donc amoindrie si elle s’inspirait de l’exemple donné par nos frères Mauritaniens, qui viennent de donner à l’ensemble des démocraties émergentes, l’une des plus belles leçons d’abnégation, de sagesse et de nationalisme ?

Ce sera l’honneur des partenaires du pouvoir politique en Algérie, les tenants du pouvoir institutionnel et officiel, comme les tenants du pouvoir militaire et sécuritaire, d’organiser leur retrait dans l’honneur, de la scène politique à travers la mise en place rationnelle, équitable et honnête, d’une ASSEMBLEE NATIONALE CONSTITUANTE authentiquement représentative de toutes les sensibilités de la Nation, et dont la mission unique sera de rédiger sous un délai d’un an, UNE CONSTITUTION REPUBLICAINE digne de notre Grand Peuple Algérien, de son Histoire passée et récente et de ses aspirations légitimes à la Paix, à la Justice et au Progrès.

Abdelkader Dehbi
11 mai 2007

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