Comment peut-on reprocher aux dirigeants palestiniens de ne pas contrôler les groupes extrémistes qui agissent sur son territoire ou en Israël alors que depuis des décennies on a tout fait pour rendre le territoire palestinien absolument ingouvernable, par des attaques et des contrôles militaires incessants, par la neutralisation des moyens de communications entre les diverses parties du territoire, et par la destruction massive et répétée de toutes les infrastructures.  Comment pouvait-on reprocher à Arafat de ne pas contrôler la violence en Palestine, alors qu’on le tenait prisonnier dans son compound à moitié détruit, et sans communication avec l’extérieur, durant plusieurs années, avant son empoisonnement.

Qu’on demande à Hamas de reconnaître l’État d’Israël, oui ; mais qu’on demande aussi à l’État d’Israël de cesser d’empêcher, comme il le fait depuis plus d’un demi-siècle, la constitution d’un État palestinien.  Qu’on lui demande surtout de cesser son activité frénétique des dernières années – la construction du mur de la honte, en particulier – visant à rendre pratiquement impossible dans l’avenir tout État palestinien viable.       

Il est normal qu’on s’émeuve de l’enlèvement d’un jeune soldat juif ; mais est-ce la fatigue ou l’habitude qui font que personne ne s’émeuve devant l’enlèvement fréquent de centaines de palestiniens, parmi lesquels se trouvent de nombreux enfants, qui pourrissent dans les prisons d’Israël. La réaction d’une violence extrême du gouvernement de l’État d’Israël à l’enlèvement de son jeune soldat, punissant collectivement la population de Gaza en la privant d’électricité et d’eau potable et en détruisant massivement les infrastructures (ponts en particulier) ayant survécu aux attaques antérieures constitue, aux termes du droit international, un crime de guerre et un crime contre l’humanité.  L’arrestation de la presque totalité du gouvernement palestinien — récemment élu démocratiquement — est un geste de folie arrogante que ne rend possible que la conviction qu’entretient désormais l’État d’Israël de posséder aux yeux de la communauté internationale une complète immunité l’autorisant à tout se permettre, y compris ce qu’on considère terrorisme et même crime contre l’humanité, lorsque c’est fait par d’autres.

Je suis aussi déçu de voir que les autorités de l’Église catholique, qui ont dépensé tant d’encre pour se défendre contre ce qu’ils percevaient comme des accusations dans l’imagination fertile de Dan Brown, l’auteur du Da Vinci Code, en ont trouvé bien peu pour réagir au présent drame.  Les invitations générales adressées « à toutes les parties  » à reprendre la négociation sonnent aussi creux que les appels à la « retenue » adressés par George Bush à Israël. L'agence de presse ZENITH — bien connue surtout pour sa recherche constance d'argent, mais aussi pour sa façon assez biaisée de rapporter les faits de l'Église et du monde — rapportait, dans son numéro du 30 juin, l'appel du Pape à la libération du jeune soldat tenu otage — à la demande explicite du premier ministre israélien, Moshé Katsav, précise l'agence — mais pas un seul mot du sort du peuple palestinien déjà soumis alors depuis quelques jours à la cruelle et criminelle invasion militaire d'Israël. J'ose espérer qu'une position aussi unilatérale et donc injuste est le fait de ZENITH et non du Pape.

Je ne me fais l’avocat d’aucune violence.  Je condamne et regrette toutes les violences qui engouffrent le Moyen-Orient, et qui affectent les peuples d’Israël et de Palestine. Mais l’immoralité du « double standard » de la communauté internationale me scandalise et me donne les haut-le-cœur.  Je continue de refuser le mot « terrorisme » dont l’usage actuel est entaché d’hypocrisie on point d’en être pourri.  Pourquoi l’explosion de bombes humaines en Israël serait-elle un acte de terrorisme, mais pas le lancement de bombes inhumaines sur la Palestine du haut des airs ?  Pourquoi les attaques contre les soldats de la soi-disant « coalition » en Afghanistan ou en Irak seraient-elles du terrorisme, mais pas le sort inhumain et illégal réservé aux victimes du cachot abject de Guantanamo Bay?

Dans un article antérieur, j’ai utilisé l’expression de « génocide palestinien », qui a suscité la surprise, le scandale et la colère chez certains.  Je connais les définitions – d’ailleurs très larges et plutôt imprécises – du « génocide » données par divers documents des  Nations Unies.  Mais il reste que le mot génocide veut dire étymologiquement l’acte ou l’effort de provoquer la mort d’une nation (génos).  Si le fait d’empêcher systématiquement un peuple durant plus d’un demi-siècle de se constituer en nation et d’avoir son propre pays, et le fait de garder ce peuple – privé de la majeure partie de son territoire — dans des camps de réfugiés, où règne une pauvreté abjecte, et de le soumettre à des humiliations constantes et systématiques, à une occupation civile et militaire et à toutes sortes de harcèlement, ne peut s’appeler « génocide », que les grammairiens m’inventent un néologisme, car aucun autre mot d’aucune langue moderne n’existe pour décrire une telle situation.

Armand Veilleux, ocso
Abbé de Scourmont
30 juin 2006

Un triste post-scriptum

Source: http://users.skynet.be/bs775533/Armand/wri/imm-internationale.htm

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