Benkhaldoun du FLN

Par Kamel Daoud

Source: http://www.quotidien-oran.com/

Lors de sa dernière apparition publique, le président de la République n’a pas parlé du pays qui fait des erreurs dans l’énoncé du bac du pays, sans que le ministère du pays s’en excuse.

Obéissant au rétro-positivisme que les Arabes pratiquent lorsqu’ils parlent de leur histoire en se racontant une histoire, le Président a préféré parler de Ibn Khaldoun. Parlons-en donc. Qu’aurait été Ibn Khaldoun aujourd’hui en Algérie ? Réponse: il aurait été lui-même. Rien n’ayant changé entre son accouchement à son époque ou son intercalation aujourd’hui dans l’histoire nationale des Tawa’if du Maghreb et de l’arabité en crise. Le bonhomme dont la lucidité était une prouesse du désespoir d’être Arabe à l’époque de la débandade, aurait écrit ses Prolégomènes dans la même grotte – les choses n’ayant guère évolué pour les cerveaux arabes sans visa -, il aurait négocié son salaire entre choix du consulting pour des émirs absurdes, offre de service, adhésions électorales opportunistes et alignements partisans sur la loi du plus fort du moment. Ce que à l’époque il a constaté pour l’Andalousie il l’aurait fait aujourd’hui pour l’Irak. En Algérie il aurait traité du régionalisme et de l’exode rural comme rêve national comme il traita de la Açabiya et du Umrane. Il aurait tiré le même livre brillant en observant la Ligue arabe, l’échec des souverainetés post-coloniales et la misère intellectuelle de l’islamisme, de l’arabité ou de la conversion «nègre-blanc» des intellectuels occidentalisés. En Algérie, Ibn Khaldoun aurait eu pour choix l’enseignement de la sociologie dans une université française, avec interdiction déguisée de séjour dans son pays et de droit aux pétitions inutiles contre le viol des droits de l’homme au nom de l’antiterrorisme, il aurait peut-être pu se faire recruter à El-Hurra par dépit, il aurait pu s’appeler Belkhadoun et servir de numéro au FLN, il aurait pu être dans l’opposition et se faire offrir une grotte pour une histoire de bons de caisse, se faire sabrer sa paie pour grève non légale à l’université ou se faire Hamrouchien et sombrer dans l’oubli, le thé et l’analyse. Dans tous les cas, il aurait eu droit au même tableau de misère nationaliste que celui du 14ème siècle, le même besoin d’écrire une histoire universelle pour trouver un sens à l’agitation des tribus et aurait été condamné à ne se faire célébrer l’image que lorsque les Occidentaux le redécouvriront comme éclaireur et que les nationalistes se remettent à le réclamer comme patrimoine mais pas comme procès toujours vif des échecs qui durent.

Les biographes idéologues d’Ibn Khaldoun «nationalisé» aiment bien raconter son martyr de penseur, ses longs périples inquiets, son génie mystique face à une histoire éclatée et son aventurisme politique qu’ils présentent comme un destin normalisé pour faire mousser leur propre narcissisme.

Ce qu’ils n’aiment pas par contre, c’est raconter que cet homme était tellement désespéré des siens, tellement certain de leur misère morale qu’il s’est fait tour à tour mercenaire, penseur, philosophe, enseignant, ambassadeur, poète, prisonnier, dissident et aventurier pour survivre à l’absurde.

Au XXIème comme au 14ème siècle, il aurait tiré son chef-d’oeuvre en regardant le roitelet de Fès se battre contre celui de Tlemcen ou en observant de loin Ouyahia démentir sa rencontre avec Soltani. Les Arabes n’ayant jamais tiré de l’Histoire que des hommages et si peu de leçons.
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5 commentaires

  1. Non Monsieur Abdelkader Dehbi
    un grand salut à monsieur Kamel Daoud:

    je ne sais pas quoi dire, en lisant les commentaires de monsieur « Abdelkader Dehbi », j’ai la nette sensation que tout va de trevers pour nous . Même si on est contre ce que écrit Kamel Daoud, on ne peut sûrement pas l’accuser d’être un journaliste de sérvice.

    Pour résumer, je dirai que ce que écrit Kamel daoud est plus important et plus profond que ce que voit monsieur Abdelkader Dehbi. Kamel daoud n’est pas là pour enquêter sur Khalifa ou nos députés, mais je considère qu’il fait encors mieux, car ils nous met devant notre réalité, qui elle , est pleine d’echecs et d’occasions ratées.

    bonne continuité à Kamel Daoud.

    Rachid.

    PS: un conseil monsieur Abdelkader Dehbi, lisez si c’est possible le livre  » La préface du nègre » de Kamel Daoud. il est formidable.

    Je peut vous le transmettre si vous voulez, laissez moi juste vvotre adresse.

    • dommage
      Nous avons suffisamment fait taire ceux qui ont quelque chose à dire de sérieux. Ce sont pourtant des gens qui avaient le choix de partir mais ont chosi de rester parmi nous. De grâce sachez leur rendre honneur et kamel Daoud en fait partie.

      • Déjà parti !
        Toute la nomenclature qui pourrit l’Algérie et qui est la raison essentielle pour laquelle beaucoup d’algériens partent, sans même avoir le choix parfois, sont restés parmi vous ! est-ce une raison pour leur rendre honneur ?

        Quand à dire quelque chose de « sérieux » faudrait il aussi traiter les sujets « vraiment sérieux » tels que ceux qui enfreignent les lignes rouges tracées par des « dictateurs très sérieux » et qui pourraient vous causer de « sérieux problèmes » avec une justice « pas sérieuse du tout »; des sujets qui contribueraient « sérieusement » à libérer notre pays et cela rendra peut être plus crédible « votre sérieux » !

        • oui
          je suis tout à fait d’accord avec vous mais ce n’est pas la haine qui va régler nos problèmes mais plutôt l’ouverture du débat que nous refusent ces dicatateurs. Forçons alors la portes et entrons-y sans peur et sans anonymat. Kamel Daoud a eu le mérite de le faire en s’exposant, mais entendons-nous d’abord sur les termes et sur les réferences.

  2. Le roitelet de Fès ! Est-ce pour ça ?
    Salam monsieur Kamel Daoud !

    Merci pour cette fabuleuse extrapolation mirifique !

    C’est aussi à l’évidence, une réalité « crue » très cruelle…Ibn Khaldoun a vécu son époque et a eu son avènement ! Et encore, monsieur Daoud est très magnanime dans son jugement…Ibn Khaldoun aurait eu peut être le pire des destins, dans n’importe quel pays arabe !

    J’avais déjà écrit quelque part, qu’Ibn Badis aurait été de nos jours, assigné à résidence tout comme l’ont été, ceux qui sont venus après lui avec les mêmes idées et le même message !

    Il y a des opportunités et un temps pour toute chose…

    On ne peut plaire à tout le monde !

    Certains se croient imbus d’une mission et s’agitent dès que l’on parle du Maroc ou de son roi !? Sont-ils mandatés pour le faire ? Ou sont-ils en mission commandée ?

    Personne ne peut occulter la réalité !

    L’histoire nous rattrape toujours…

    Salutations fraternelles.

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