Pour ceux qui ont demandé cette enquête en se constituant partie civile pour porter plainte contre X, il est plus important que jamais qu’elle soit menée jusqu’au bout. Beaucoup de lumière, en particulier, reste à faire sur les interventions des divers services de renseignement français durant la captivité de nos frères et sur les raisons de leur échec. Pourquoi les liens anciens et avérés de la DST française avec la Sécurité militaire algérienne n’ont-ils pas permis d’éviter l’issue fatale, alors que de nombreux éléments nous permettent de croire à l’implication des responsables de cette Sécurité militaire dans l’enlèvement ? L’électron libre Jean-Charles Marchiani a-t-il négocié avec les terroristes ou avec la Sécurité militaire ? Pourquoi l’action de la DGSE n’a-t-elle pu aboutir ? Pour quelles raisons les plus hauts responsables politiques français, informés en temps réel de la situation, n’ont-ils pu venir au secours de leurs concitoyens ? Et pourquoi l’« affaire des moines » reste-t-elle, jusqu’à ce jour, obscurcie par un épais nuage de désinformation ?

Nos frères, à l’inverse, ont vécu dans la vérité et la limpidité au milieu de leurs frères musulmans. À l’exemple de leur grand ami, le Cardinal Duval qui, au temps de la guerre d’indépendance, condamnait la violence exercée par les deux côtés, ils n’ont pas manqué de dénoncer les crimes, quels qu’en soient les auteurs. « Si nous nous taisons, les pierres hurleront » (cf. Luc 19.39, 40), comme ils l’avaient rappelé. Utiliser la mémoire de leur vie sans essayer de faire la vérité sur les circonstances de leur mort serait aujourd’hui un manque de courage contre lequel hurleraient les pierres posées sur les quelques pelletées de terre recouvrant leurs têtes dans le cimetière de Tibhirine.

Il y a une raison supplémentaire de poursuivre cette recherche de la vérité. Le 28 février 2006, les généraux algériens on fait décréter une loi d’autoamnistie allant, dans le cynisme, bien au-delà de celles des généraux chiliens et argentins d’il y a quelques décennies. Cette loi, qui a profondément choqué les familles des victimes de la violence et des disparitions forcées, a été unanimement condamnée par Amnesty International et les autres organismes de défense des droits humains comme contraire à toutes les conventions internationales (signées par l’Algérie) concernant les droits humains.

Non seulement cette loi amnistie des milliers d’islamistes coupables de crimes contre l’humanité, sans que ces crimes aient fait l’objet d’aucune enquête, mais elle amnistie aussi les généraux et les membres des forces de l’ordre de tous les crimes contre l’humanité qu’ils ont eux-mêmes commis sous le couvert de la lutte antiterroriste. De fait, les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis ont constitué pour les généraux algériens une occasion en or de faire passer aux yeux de la communauté internationale comme « lutte antiterroriste » la guerre civile qu’ils avaient eux-mêmes déclenchée en 1992 contre leur peuple en suspendant le processus électoral. Le cynisme de la loi de février 2006 et de ses décrets d’application est tel que les parents des 15 000 à 20 000 disparus non seulement ne peuvent plus réclamer au gouvernement et à la justice algérienne de faire la lumière sur l’enlèvement de leurs êtres chers, mais qu’ils sont désormais passibles de prison s’ils osent mentionner ces enlèvements ou parler des circonstances précises de la « tragédie nationale ».

Dans ces conditions, il est impératif que l’enquête sur la mort de nos frères soit poursuivie, sans œillères, sans que la raison d’État fasse obstacle aux exigences de la vérité et de la justice. Exiger que la lumière soit faite en France sur ce crime emblématique de la « sale guerre », c’est aussi une façon de soutenir la lutte courageuse pour la vérité et la justice que mènent en Algérie les familles de ces milliers de disparus et des quelque 200 000 victimes de la guerre civile.

Évidemment, les « éradicateurs » algériens et tous ceux qui, à l’étranger, ont appuyé leur campagne d’éradication continuent à nous dire : les preuves sont là, c’est un groupe d’islamistes radicaux, sous la direction de l’émir du GIA Djamel Zitouni, qui a enlevé et assassiné les moines, puisqu’ils l’ont publiquement revendiqué. Nous répondons que c’est vrai, mais que ce n’est là que la première partie de la réponse. La question suivante est : « Sous les ordres de qui et pour qui travaillait Djamel Zitouni ? » Les témoignages algériens de tous bords ayant affirmé ces dernières années que Zitouni était utilisé et manipulé par la Sécurité militaire algérienne sont si nombreux et concordants qu’une enquête judiciaire sérieuse à ce sujet s’impose. Le résultat de cette enquête nous dira qui est responsable de la mort de nos frères.

Cette enquête est encore en cours et elle ne s’arrêtera pas.

Armand Veilleux
Scourmont, le 23 mars 2006

Original

Traduzione italiana

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