A travers le colossal projet de production d’énergie solaire, baptisé « Desertec » l’Allemagne, manifestement, cherche « une place au soleil ». C’est son droit. Et c’est surtout son affaire. Comme c’est le droit et l’affaire de l’Algérie, de décider de son implication ou non dans une telle aventure énergétique.

Or, à en croire l’article d’El Watan daté de ce 12 Décembre 2010 et signé de Mokrane Aït Ouarabi, – http://www.elwatan.com/actualite/le-rcd-denonce-le-parti-pris-de-bouteflika-12-12-2010-102607_109.php – il semble que ce ne soit pas tout à fait l’avis du Dr Saïd Sadi qui comme chacun sait, est accessoirement leader du RCD, positionné comme un « parti d’opposition » (sic) et qui ne prend même plus de gants aujourd’hui, pour se comporter et agir, en véritable proconsul de la nouvelle Gaule dans l’ancienne Numidie si on ose dire…

Et c’est à peine de l’ironie, quand on sait – et depuis longtemps déjà – avec quels égards particuliers ledit leader du RCD est reçu – sinon perçu – en France. Et avec quel étalage dès sa descente d’avion, de torses bombés, de regards inquisiteurs et tutti quanti, comme seuls les flics de là-bas – à l’instar de leurs clones d’ici – savent y faire…

M. Saïd Sadi semble donc avoir revêtu une nouvelle fois, sa robe d’avocat d’office des intérêts – ici énergétiques – de la France, à propos des engagements pris par M. Bouteflika en visite à Berlin, vis-à-vis du grand projet « Desertec » initié par les Allemands ; un projet en compétition avec le projet français similaire baptisé Plan Solaire Méditerranéen (PSM) qui a manifestement la préférence de M. Sadi.

On se croirait presque revenu un siècle auparavant, à l’époque des rivalités entre puissances coloniales ou potentiellement telles ; comme lorsqu’en Juillet 1911, l’Allemagne de l’Empereur Guillaume envoya une canonnière au large d’Agadir… après avoir compris, mais un peu tard qu’elle avait été flouée par des accords secrets franco-britanniques, membres de l’Entente, au lendemain de la Conférence d’Algésiras, dédiée au partage du gâteau nord africain, tenue en 1906…

Mais passons. Et revenons aux questions d’aujourd’hui, pour préciser au préalable, afin qu’il n’y ait ni méprise ni ambigüité, que l’honnêteté commande ici de reconnaître à M. Saïd Sadi, la justesse de ses griefs à l’endroit du Chef d’Etat. Un Chef d’Etat diminué – au moins physiquement – prenant des engagements à la légère, qu’aucune disposition juridique, fut-elle d’ordre constitutionnel ne l’habilite à prendre, s’agissant d’un projet aussi colossal, engageant les intérêts supérieurs de la nation, voire hypothéquant gravement la souveraineté nationale. Mais en revanche, cela ne donne aucun droit à M. Sadi, de choisir pour les algériens, au nom d’inclinations politiques purement personnelles.

Cela étant clarifié, commençons donc par faire une brève présentation du projet « Desertec » afin de savoir de quoi il est question ici :

Présentation et commentaire du projet « DESERTEC »

Le concept de « Desertec » c’est la captation des énormes radiations solaires dans les déserts des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient – « MENA » ou Middle East and North Africa – et de transformer ces radiations en électricité en utilisant un immense réseau de miroirs couplés à des centrales thermiques. Ensuite, acheminer le courant par lignes à haute tension prolongées par des câbles sous-marins en direction des pays de l’Europe, avec pour objectif, la couverture d’environ 20% de leurs besoins en électricité provenant donc d’une source d’énergie propre, illimitée et renouvelable

La puissance envisagée ainsi recueillie est estimée à 500 Gigawatts (GW) à l’horizon 2050.

Pour en avoir une idée claire, la puissance de 500 Gigawatts, c’est 10 fois la capacité de production électrique d’un pays comme la France. C’est l’équivalent de la production de 500 grosses centrales conventionnelles – utilisant la technologie des turbines à Gaz ou celle des centrales Nucléaires – en sachant que la norme de puissance unitaire la plus répandue des centrales conventionnelles actuelles est de 1000 Mégawatts (= 1Gigawatt)

– La surface minimale des occupations de sols est estimée à 6000 km2.
– Le coût initial du projet est estimé à 400 milliards Euros, d’ici à l’horizon 2050.

Les problèmes technico-économiques majeurs

1°) – Le caractère gigantesque de Desertec fait que ce projet est au moins 100 plus grand que tout projet énergétique jamais envisagé ou réalisé par l’homme. Ce qui ne manquera pas de soulever fatalement toutes sortes de problèmes liés à la fois au manque d’expérience, à l’économie d’échelle, à l’intégration logistique, etc.

2°) – Les centrales thermiques solaires requièrent elles aussi, une énorme quantité d’eau, tant pour le refroidissement des centrales que pour le nettoyage permanent des miroirs de captation ; ce qui par définition, pose problème dans le désert. Sans parler de l’impact négatif sur les besoins en eau des populations du Sud déjà suffisamment déficitaires en ressources en eau. Des populations déjà frustrées des bienfaits du gaz, avec ce spectacle quotidien désolant, de voir des ribambelles d’enfants du Sud, rouler des bouteilles de gaz – vides ou pleines – sur les bas-côtés des routes et des rues villageoises, alors que sous leurs pieds, des dizaines de millions de mètres cubes de gaz naturel sont injectés chaque année en direction des consommateurs de l’Europe….

Les problèmes politiques

Le concept de centrales solaires ne relève pas de la très haute technologie comme c’est le cas pour le nucléaire. Si les pays du MENA voulaient se lancer dans l’électricité solaire – ce qui n’a pas de sens économique pour la plupart d’entre eux, ils pourraient toujours le faire, mais à une échelle beaucoup plus réduite – de l’ordre d’à peine 5% du total prévu par le projet Desertec – qui est largement compatible avec leurs besoins dans ce type d’énergie. Qui plus est, en individualisant les projets cas par cas, pays par pays, pour pouvoir garder la haute main sur leurs intérêts et préserver leurs souverainetés respectives.

De plus, s’agissant de l’Algérie, notre pays est riche en gisements gaziers, avec 11.000 Milliards de m3 de réserves prouvées. Il a présentement devant lui, plus de 60 ans de réserves en gaz naturel, au rythme actuel de production – 80 Milliards de mètres cubes par an – dont 3/4 sont aujourd’hui exportés. Et l’on fait abstraction bien entendu ici, de futures découvertes éventuelles, mettant à jour de nouveaux gisements.

Pour satisfaire ses besoins de croissance qui induisent une forte demande d’énergie électrique, le bon sens commande à notre pays de continuer à opter pour la technologie des turbines à gaz, une technologie accessible sur le marché mondial, maîtrisable, propre, sûre et nettement moins coûteuse que la technologie électronucléaire avec un ratio de 1/5, puisqu’une centrale électronucléaire de 1.000 Mégawatts électriques coûte 3 Milliards d’Euros, tandis qu’une centrale de turbines à gaz de même capacité coûte 600 Millions d’Euros.

Or, tel qu’il est initié, le projet « Desertec » utilise la région MENA comme une simple « région réceptacle » et n’envisage nullement de faire bénéficier nos pays de l’énergie ainsi collectée, hormis de vagues promesses de dédier une partie insignifiante de cette énergie pour le dessalement de l’eau de mer, chose qui se fait aujourd’hui par des méthodes conventionnelles nettement plus économiques.

Encore heureux que les généreux initiateurs du projet, ne nous aient pas promis de nous offrir en prime, des gadgets en verroterie comme dans la brousse, au début de l’ère coloniale en Afrique… Mais il ne s’agit pas tellement d’ironie ici.

En tout état de cause, le concept d’immenses centrales solaires est incompatible avec les besoins de nos pays en développent, où un grand pourcentage de la population vit en zone rurale. D’où, la nécessaire de décentralisation de la production, avec mise en place de petites et moyennes centrales, localisées le plus près possible des sites de consommation. Ce qui constitue la solution la plus adéquate, la plus économique et la plus écologique.

Par ailleurs, du point de vue de la sécurité, les centrales solaires et les lignes des câbles de transport peuvent être des cibles faciles pour des attaques terroristes. Leur sécurisation même minimale aura des coûts énormes et c’est naturellement aux « pays hôtes » qu’incombera la mission de « sécuriser » des milliers des kms en termes linéaires pour les câbles et des milliers de km2 en termes de superficies de captage à protéger.

A moins que ce ne soit là précisément l’objectif recherché et que toute cette affaire ne finisse par favoriser à plus ou moins long terme, l’implantation de véritables « armées privées » dans le pur style de la société Blackwater, constituée de véritables criminels mercenaires, chargés de « nettoyer » par l’assassinat ou la terreur, les régions à « sécuriser »….. (cf: le livre du journaliste indépendant, Jeremy Scahill: The Rise of the World’s Most Powerful Mercenary Army, publié en 2007 Editions Nation Books)

Enfin, – last but not least – le succès politique de Desertec dépend fondamentalement de l’entente et de la coordination entre les « pays producteurs » et, s’agissant du Maghreb, singulièrement l’Algérie et du Maroc. Or, nos deux pays censément « frères » sont pour ainsi dire en « guerre froide » depuis près de 50 ans. Au grand bénéfice des « bénéficiaires » traditionnels de la politique du « diviser pour régner »….

Conclusion

C’est assez souligner, au terme de ce court exposé sur le projet « Desertec » combien le Chef de l’Etat a fait montre de légèreté en tenant des propos irresponsables sur l’implication de notre pays dans un projet aussi lourd financièrement, aussi long dans sa réalisation et aussi hasardeux quant à ses résultats. Un projet dont les promoteurs eux-mêmes – les Allemands – ne semblent pas totalement maîtriser toutes les données et conséquences.

Existe-t-il seulement un « Dossier Desertec Algérien » qui aurait été préparé, évalué, et débattu par des experts nationaux compétents, tels que nos Universitaires, nos chercheurs – même expatriés – et nos Cadres supérieurs travaillant dans les différents rouages de l’Etat, des Institutions et des Entreprises nationales comme Sonatrach ?

Si oui, au nom de quoi prétend-on engager l’avenir de tout un peuple sans organiser un minimum de débat public sur la question ?

Un régime politique sclérosé et moralement discrédité est-il fondé à engager la nation pour des décennies quand il n’est même plus capable de faire face aux problèmes quotidiens du citoyen algérien ? C’est aujourd’hui la question essentielle que devrait se poser tout citoyen algérien.

Même si une certaine presse aux ordres – tant intérieurs qu’extérieurs – commence à monter en puissance pour « vendre » ce méga projet dont le citoyen lambda ignore jusqu’à l’existence.

Même si nos partenaires européens – si prompt à donner des leçons de « démocratie » – font comme si… A croire qu’ils n’ont ni Ambassadeurs, ni attachés militaires, ni attachés de presse, pour les renseigner sur le pouvoir illégitime en place et sa disqualification morale pour parler au nom d’un peuple qui n’en peut mais, écrasé qu’il est, par plus de 20 années d’Etat d’Urgence, de corruption, de scandales financiers et de pillage qui sévissent dans le pays.

Abdelkader Dehbi
13 décembre 2010

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