Boudjedra a raison de croire qu'il a eu beaucoup plus de chance que d'autres pendant cette guerre civile qui a maintenant plus de dix ans d'âge ( 3 ans de plus que la guerre de libération et ce n'est pas fini). Mais dans les noms qu'il évoque, il pratique l'amalgame et évite de dire l'essentiel comme par exemple que la police algérienne si prompte à arrêter les auteurs des crimes crapuleux n'a pu le faire qu'à de rares exceptions ( et encore le présumé coupable est tué en prison ) en ce qui concerne les éliminations attribuées aux islamistes. A cet égard est édifiant le cas de ce binational de Annaba dont l'assassinat a été d'abord attribué avec fracas au GIA, trois jours plus tard, le criminel fut arrêté ! – c'était un voleur !
Monsieur ASALAH n'était pas peintre mais le directeur de l'Ecole Supérieures de Beaux Arts – un homme charmant qui n'appartenait à aucun groupe politique, les circonstances de sa mort et celle de son fils, pouvaient permettre à la police, considérant les indices de départ, d'aboutir vite : l'assassin était un jeune homme de 20 ans dont la tenue comme l'attitude se confondaient avec celle des étudiants de l'Ecole ; jeans, pas de barbe, un cartable sous le bras ; il a attendu dans la cour l'arrivée de ses victimes sans soulever le moindre soupçon. Les nombreux témoins ont pu l'observer et le décrire. Il a tiré sans crier " Allah Ouakbar " – <>- au moment de tirer ! Pourquoi serait-ce a priori un islamiste ? En tout cas malgré les nombreux indices et la bonne description qui en fut faite, il n'a jamais été appréhendé.

Youcef Fathallah était notaire. Cet homme affable et discret fut tué dans son étude située en plein centre d'Alger. Comme le professeur Boucebsi, il était membre de la commission d'enquête sur l'assassinat de Boufiaf (En cette tragique occasion Boujdera s'était illustré par sa clairvoyance en venant dire le soir même au journal de 20 heures de TF1 sa certitude que l'assassin du Président du Haut Conseil de l'Etat était un agent islamiste.) L'élimination des deux personnes est d'autant plus étrange que les deux ont fait part à la presse de leurs réserves sur la manière dont se déroulaient les investigations. Boudjedra aurait pu encore citer l'ancien Premier Ministre et ex-chef de la sécurité de BOUMEDIENNE, en l'occurrence Monsieur Kasdi Merbah, arrosé de balles, un après-midi ensoleillé, tout à fait comme dans le film " Le Parrain ".

Dieu sait reconnaître les siens, il faut le croire !

BOUDJEDRA, menacé par les intégristes, a été bien protégé. On peut, on doit s'en féliciter ! Ce ne fut pas le cas des habitants de (Bentalha ) ! Peut-être, parce qu'ils ne comptaient pas parmi eux un écrivain, un artiste ! En supposant que ce massacre n'a pas été commandité par les aigrefins du service de propagande de l'armée ( méthode courante dans toutes les armées amenées à faire des missions de police ), ni ne fut "un dommage collatéral", il n'en reste pas moins que la tuerie à l'arme blanche de femmes et d'enfants, a eu lieu à cinq kilomètres d'une caserne et sous la surveillance d'un hélicoptère de l'armée – les assassins se sont acharnés exclusivement sur des femmes et des enfants ce qui en fait un phénomène inédit dans l'horrible histoire des crimes contre l'Humanité, (même les nazis se sont contentés de tuer à l'aveuglette hommes, femmes et enfants, ou se sont limités à tuer les hommes, mais jamais seulement des femmes et des enfants ). De plus le carnage a pris plus de trois longues heures. Aucun secours, rien ! Ayant accompli leur forfait, les bouchers ont pu repartir tranquillement, armes à l'épaule ! En dehors de la satisfaction du ministre de la santé de l'époque ( " Voilà ce qui arrive quand abrite le GIA " – archives filmées à l'appui ! – a t-il dit en substance sans que personne n'ait pensé serait-ce protester ! , l'explication avancée parle de dysfonctionnement : eh ! bien ! rien que pour ce dysfonctionnement, les Etoilés de l'armée algérienne n'ont plus d'honneur, et s'il leur en restait, ils devraient faire du mot "pardon" une incessante prière !

Dans son amour immodéré pour le maquillage de la réalité – sans doute par admiration pour la " réalité inoffensive " selon Monsieur M.Michaux) – notre forgeron des mots fait preuve d'un superbe entêtement : " C'est une chèvre, même si elle vole " aiment dire les vieilles commères d'Algérie. Libre à lui de croire, dix ans après que l'arrêt du processus électoral des premières législatives libres, a été un bienfait. Et par pitié, on ne le contrariera pas non plus lorsqu'il affirme que le Général NEZZAR et consorts ont déposé Chadli et annulé les élections, non pour obéir à leurs intérêts de caste mais seulement ( et l'âme remplie de souffrance bien sûr ! ) pour accéder à la demande de la "société civile" algérienne, Boudjedra en tête ( Madame Aslaoui, ex-ministre de la Justice et autre témoin de moralité cité par le Général offensé a le même refrain en bouche ). Cependant tout observateur sait ce qu'il en retourne : l'islamisme est vivace comme au premier jour, le terrorisme plus endeuillant que jamais, la Kabylie en dissidence, des jacqueries aux quatre coins du pays, des scandales financiers en veux-tu en voilà, la misère et sa sœur la désespérance dansant la farandole etc.… Et que 53% d'abstentions aux dernières législatives soit un gage d'optimisme démocratique, montre à quel point Monsieur BOUDJEDRA, cet homme généreux ne compte pas lorsqu'il aime…

La haine, c'est l'impasse ! C'est vrai en politique comme en littérature. Comme il arrive souvent, la haine fiévreuse et aveugle conduit son homme à l'autre bout de ce qu'il recherche. A cet égard, le cas Boudjedra constitue un excellent exemple. Un peu de bon sens lui aurait permis de comprendre que son agitation antiislamiste n'aide qu'à entretenir la formidable machine à fabriquer des intégristes. Cette machine, c'est l'armée ! Elle incarne en effet tous les échecs et toutes les humiliations du pays qu'elle dirige sans partage depuis le coup d'Etat contre Ben-Bella, en 1965. Et tant qu'elle est pouvoir, tant que ses chefs continuent de s'accrocher à leurs privilèges qui n'ont rien de privilèges républicains ! l'islamisme non seulement ne sera pas éradiqué, mais de beaux jours l'attendent…Aussi vrai qu'on a aucune chance d'arrêter l'inondation, si l'on ne commence pas d'abord par arrêter le robinet…

Et ma foi, si pour la défendre la République, il n'y a que des pareils à NEZZAR, alors tans-pis pour la République !

C'est vrai aussi que l'anti-intégrisme est un fonds de commerce si rentable.

Décidément, la haine, cette autre forme d'intégrisme, pourrit tout, l'esprit comme la sensibilité !

Hassen Bouabdellah
Ecrivain et cinéaste
17 juillet 2002

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