Cette option, qui reste malgré tout la moins irréaliste, ne serait cependant pas sans soulever des problèmes pratiques majeurs concernant par exemple :

1) l’ignorance du citoyen algérien au sujet de ses droits, sciemment entretenue par les autorités ;

2) la complexité des procédures et la diversité de l’interprétation des traités internationaux ;

3) la difficulté pour les victimes d’accéder aux juridictions étrangères ;

4) la crainte de représailles en l’absence d’une protection efficace des victimes, des parties civiles, des témoins
et même des avocats de la défense contre les éventuelles atteintes dont ils pourraient faire l’objet ;

Ce ne sont là, mesdames et messieurs, que quelques unes des questions que nous nous posons et nous espérons que ce séminaire contribuera à y apporter des éléments de réponse.

J’aimerais maintenant dire quelques mots au sujet du rapport que nous avons publié sur les massacres en Algérie.

Le graphiste de l’Atelier Roger Pfund qui a réalisé l’œuvre ayant servi à la couverture a écrit :

« 23 septembre 1997: massacre de Bentalha. Piéta sans enfant, le visage de cette madone qui témoigne de la tuerie de huit innocents a fait le tour du monde. La douleur muette de ce cri indicible m’a traversé et le cœur et l’esprit. Pour mes amis, pour ce peuple meurtri, le silence n’était plus permis. »

En effet, pour beaucoup de gens, des Algériennes et des Algériens, des citoyennes et des citoyens du monde entier, le silence n’était plus permis.

C’est à cette époque qu’eut lieu une impressionnante mobilisation de l’opinion publique internationale ainsi que de plusieurs ONG des droits de l’homme, pour exiger que soit mis un terme aux horribles massacres qui endeuillaient l’Algérie et pour demander que soit constituée une commission d’enquête indépendante en vue de mener une investigation libre sur ces massacres.

A cette mobilisation et à ces revendications, le régime algérien a prêté une sourde oreille, puisqu’il n’a rien fait pour protéger les citoyens et pour arrêter les horribles massacres à répétition qui ont continué à frapper les populations civiles durant toute l’année 1998 et même durant l’année 1999 où des dizaines de massacres ont été recensés, certains faisant des dizaines de victimes.

Le régime algérien a d’autre part refusé catégoriquement toute idée d’enquête indépendante sous prétexte de souveraineté nationale, alors que le gouvernement algérien est signataire de conventions internationales qui prévoient ce type de mécanismes.

Mesdames, Messieurs, face à l’intransigeance du régime algérien, et au silence de la communauté internationale (gouvernements et organisations internationales), un groupe d’universitaires d’Algérie, d’Europe et d’Amérique du Nord ont pris l’initiative de préparer un document sur les massacres en Algérie. Le but étant de fournir un outil de travail à ceux qui s’intéressent à la situation des droits de l’homme en Algérie.

En publiant ce rapport, notre but n’est pas de juger, car ce n’est point de notre compétence. C’est plutôt de présenter des témoignages, de documenter des faits, d’analyser et de comprendre par un ensemble de méthodes, dont l’outil statistique, afin de dégager les régularités qui caractérisent les massacres en Algérie, ainsi que celles qui régissent les réactions des ‘bystanders’ algériens et internationaux.

En même temps qu’elles apportent une compréhension plus profonde du phénomène des massacres en Algérie, ces études soulèvent un ensemble de questions inquiétantes qui remettent radicalement en cause les thèses avancées jusqu’ici par le régime algérien.

Notre but est de montrer au monde entier la nécessité et l’urgence d’une enquête indépendante afin de faire toute la lumière sur les massacres qui ont coûté la vie à des milliers d’Algériennes et d’Algériens.

Une telle enquête constituerait dans l’immédiat et dans le court terme, un moyen de protection efficace des populations déjà victimisées ou celles qui sont des cibles potentielles. Car comme l’ont montré les études empiriques de Ervin Staub sur les effets des réactions des ‘bystanders’ sur les processus de victimisation de masse, elle introduit le doute quant à l’acceptabilité et l’impunité de ces crimes dans l’esprit de ceux qui les commanditent et ceux qui les perpètrent.

Une telle enquête est également un pas indispensable dans le chemin de la paix en Algérie. Car à défaut de justice rendue, être informé sur ce qui s’est passé ces dernières années constitue le seul garant de l’implication réelle des Algériennes et des Algériens dans tout processus de réconciliation nationale.

Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre attention.

Abbas Aroua
Intervention au séminaire de Genève sur la défense en droit international pénal, organisé par Post Tenebras Jus
3 et 4 décembre 1999

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