Or, des neuf pays inclus dans la stratégie sahélienne, expliquait en juillet 2005 l'expert pétrolier algérien indépendant Hocine Malti, sept « possèdent des réserves plus ou moins importantes de pétrole. Le Nigeria possède des réserves prouvées de 31,5 milliards de barils, l'Algérie en a 11,8 milliards, celles du Tchad sont estimées, à ce jour, à 1 milliard (le pays en est à ses tout premiers débuts de l'aventure pétrolière), le Sénégal possède 700 millions de barils, la Tunisie 308 millions, le Niger 300 millions et la Mauritanie 200 millions. Tout autour de ces pays, on en trouve d'autres qui sont également riches en pétrole ; la Libye a des réserves prouvées de 39 milliards de barils, le Soudan en a 563 millions, tandis que le Sahara occidental a un sous-sol très prometteur (12) ».

Un GSPC épouvantail

La menace d'un GSPC non seulement actif en Algérie mais « étendant ses tentacules » aux confins du Sahara vers le Sud semblait donc depuis quelques années faire l'affaire de tous les pays concernés (13) . Du côté américain, cette menace constituait un prétexte rêvé pour justifier sa présence militaire dans la région. Du côté du pouvoir algérien, elle a justifié le développement de la coopération sécuritaire avec les États-Unis : celle-ci l'a considérablement aidé à sortir de son isolement des années 1990, à s'affranchir d'une France trop impliquée dans les trafics et manipulations algériennes, mais surtout à tourner la page des « années de sang », durant lesquelles les forces de l'ordre toutes composantes confondues ont commis des crimes contre l'humanité – dont les responsables se sont vus désormais absous de facto par la première puissance mondiale, car devenus un « modèle de la lutte efficace contre le terrorisme (14) ».

Mais alors, pourquoi le bizarre revirement depuis 2006 d'une partie de la presse algérienne face à la « menace du GSPC », à la veille d'attentats particulièrement meurtriers commis par ce dernier ? Pour répondre à cette question , il est indispensable de revenir d'abord sur la genèse de cette organisation, dont de nombreux indices concordants montrent qu'elle est en réalité un instrument du principal clan du pouvoir algérien – celui des chefs du DRS –, qui a été également le promoteur du rapprochement avec les États-Unis.

Bien sûr, cela n'exclut pas la persistance de petits groupes armés véritablement autonomes et se réclamant de l'islam pour combattre les forces de sécurité sous le « label GSPC », comme c'est sans doute le cas des « maquis » du Nord-Constantinois ou de l'Ouarsenis : même s'ils restent ultra-minoritaires, la situation sociale est si grave qu'il ne manque pas de jeunes désespérés pour choisir la lutte armée (tandis que beaucoup d'autres choisissent celle tout aussi aléatoire des harragas , les embarcations de fortune utilisées pour rejoindre l'Europe). Mais d'autres « maquis GSPC », notamment en Kabylie, s'ils attirent aussi – et de plus en plus en plus ces derniers mois – des jeunes prêts à sacrifier leur vie, semblent plutôt relever du « modèle GIA » de la fin des années 1990, où des « émirs » agents du DRS entraînaient des inconscients dans des actions terroristes contre la population. Quant au nouveau terrorisme urbain attribué au GSPC, vu l'extraordinaire prégnance du quadrillage policier, il est tout simplement inconcevable qu'il ne soit pas un instrument du DRS. Et bien d'autres éléments attestent que la transformation progressive du GSPC en « branche armée » d'Al-Qaida en Algérie (puis au Maghreb) est le fruit d'une pure construction des « services » algériens.

Selon les « sources sécuritaires » régulièrement citées par la presse algérienne (à savoir le DRS, source de fait exclusive de toutes les informations sur le « terrorisme islamiste » en Algérie), le GSPC a acquis une dimension régionale sous l'impulsion d'Amari Saifi, dit « Abderrezak El-Para », qui aurait organisé la prise d'otage des touristes européens en janvier 2003. Or, Amari Saifi, ancien parachutiste et ex-garde du corps du général Khaled Nezzar, n'avait été jusque-là actif que dans l'est du pays, dans la région de Tébessa, où le GSPC était notamment impliqué dans d'immenses trafics de contrebande et de drogue au même titre que – en collusion avec ? – de hauts responsables du DRS (15) . À l'issue d'une cavale de vingt mois, dont près de huit avec des otages, il a été remis fin octobre 2004 aux autorités algériennes, qui depuis le maintiendraient incarcéré.

Pourtant, très curieusement, c'est « par contumace » qu'Amari Saifi a été condamné en juin 1995 à la réclusion à vie par le tribunal criminel près la cour d'Alger pour « création d'un groupe terroriste armé » (16) . Et, de façon plus rocambolesque encore, alors qu'il était toujours sensé être détenu dans une prison algérienne, il devait être à nouveau jugé pour le même motif en mars 2007 par le même tribunal – lors d'un procès finalement reporté –, mais toujours… par contumace ! Le motif absurde officiellement avancé pour cette étonnante mascarade judiciaire était que « les procédures judiciaires engagées dans le cadre de cette affaire ont débuté avant que Aderrezak le Para ne soit remis aux autorités algériennes et, donc, considéré comme étant en fuite (17) ». Le plus étrange dans cette affaire, c'est qu'aucun des États européens dont les ressortissants avaient été kidnappés n'a demandé son extradition ou tout au moins son audition. Lors d'une visite en Algérie en janvier 2007, le secrétaire d'État allemand à la Sécurité, August Hanning, déclarait ainsi dans une interview : « Nous ne le [Abderrezak al-Para] réclamons plus. D'après mes informations, il est entre les mains des autorités algériennes. Il est jugé et condamné pour des actes qu'il a commis en Algérie (18) . » Propos des plus surprenants, puisque El Para n'avait pas encore été jugé pour le rapt des trente-deux touristes (dont l'une a succombé pendant sa séquestration).

Cet épisode invraisemblable n'a été relevé par aucun des grands médias français et occidentaux. Il atteste pourtant, ainsi que nombre d'autres indices (19) , que le « Para » ne peut être qu'un agent du DRS, propulsé par ses chefs à la tête du GSPC. Les autres « figures emblématiques » de ce groupe pour le moins énigmatique sont tout aussi évocatrices : Nabil Sahraoui, « émir » supposé du GSPC jusqu'à sa neutralisation en juin 2004, aurait fait partie des éléments du GIA ayant organisé la fameuse évasion de 1 200 détenus de la prison Tazoult en mars 1994, opération réputée avoir été commanditée par le DRS à la fois pour liquider des islamistes et pour infiltrer les maquis (20) . Selon le communiqué militaire faisant état de la mort de l'émir en juin 2004, plusieurs de ses adjoints les plus importants auraient eux aussi été tués en même temps que lui (21) . Or, huit mois plus tard, la presse algérienne annonçait que l'un de ces lieutenants tués, Abdelmalek Droukdel, aurait été désigné comme successeur de Nabil Sahraoui à la tête du GSPC (22) . En mai 2005, la même presse annonçait à nouveau l'élimination de Droukdel (23) . Peu après, il était à nouveau « ressuscité » à la tête du GSPC, poste qu'il occuperait toujours à ce jour… Ce cirque médiatique, qui ne sert qu'à alimenter la confusion, rappelle évidemment les cas des « émirs nationaux » du GIA Djamel Zitouni et Antar Zouabri, eux aussi tués et ressuscités plusieurs fois selon les « sources sécuritaires » et dont on a appris depuis qu'ils étaient des agents du DRS (24) .

Autre coïncidence remarquable : le 4 juin 2005, c'est à deux jours des manœuvres militaires « Flintlock » déjà évoquées, organisées dans le Sahel sous l'égide le l'US Army, que la caserne mauritanienne de Lemgheity, proche de la frontière avec l'Algérie, est attaquée par un commando présumé du GSPC. C'est le baptême du feu d'un certain Mokhtar Belmokhtar, présenté comme l'« émir » de la zone Sud, affilié à Al-Qaida. L'attaque du groupe armé a lieu dans la région même où, du 6 au 26 juin 2005, participeront aux exercices près de 3 000 soldats de huit pays africains, dont l'Algérie. Ce n'est certainement pas un hasard si la caserne de Lemgheity est située dans une zone censée receler d'importantes réserves de pétrole : dans le bassin de Taoudenni, les sociétés pétrolières se concurrencent pour l'obtention des droits, en particulier l'américaine Woodside et la française Total (25) .

Selon la presse algérienne de l'époque, toutes ces opérations seraient le fait du GSPC, groupe ayant pris en 1998 la succession des GIA après s'en être distancié en raison des massacres que ceux-ci commettaient contre des civils. Il est vrai que la majorité des actions attribuées au GSPC ont été dirigées contre des patrouilles militaires, des gardes communaux ou des miliciens. Mais, tandis que médias et politiques algériens s'entendent pour annoncer régulièrement la quasi déconfiture du groupe en raison des défections et des coups portés contre lui par l'armée (26) , c'est à partir du printemps 2006 que se répètent les annonces du ralliement du GSPC à Al-Qaida – toujours selon des « sources sécuritaires » ou selon des sites Web du GSPC, à l'authenticité invérifiable – et que des attentats spectaculaires à la bombe se multiplient contre des commissariats et des brigades de gendarmerie, mais aussi contre des cibles civiles.

C'est ce qui conduisait la revue Risques Internationaux à écrire en décembre 2006 : « Hier comme aujourd'hui, la plupart des groupes affiliés au GSPC ont été infiltrés par le DRS. Le commandement du GSPC, bien connu du DRS selon les déserteurs des services algériens, évolue sans inquiétude, surtout dans la Mitidja Est, à Mizrana, à Khemis Khechena et à Boumerdès. Longtemps, la plupart des réunions des membres influents du GSPC ont été organisées à Sid Ali Bounab, un lieu bien connu du DRS, mais rien n'a été fait pour décapiter ce groupe armé, bien au contraire. Selon l'un de nos interlocuteurs : “Ce qui se passe actuellement en Algérie, notamment la multiplication des attentats, des embuscades dirigées contre les militaires, est révélateur des objectifs et des intentions du DRS. La provocation opérée par le DRS est maintenant en route pour ramener l'Algérie aux sanglantes années 1990” (27) . »

L'affiliation du GSPC à Al-Qaida est scellée par les propos filmés d'Ayman Adh-Dhawahiri, réputé être le numéro deux de cette dernière, qui à l'occasion du 11 septembre 2006, déclare l'union entre les deux organisations. Laquelle sera suivie, le 24 janvier 2007, de l'annonce du changement de dénomination du GSPC en « Organisation d'Al-Qaida au pays du Maghreb islamique ».

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